Histoire, Technique de la médaille & Biographies

Histoire

L'œuvre de J-C Chaplain par André Michel 
La médaille en France « de Ponscarme à la fin de la Belle Epoque » 
Jules Chaplain à Paris Le 4 décembre 1910 - Discours de Raymond Poincaré 
La Leçon de Hubert Ponscarme

Art & Techniques

La gravure et la médaille (1987)
L'art et les techniques de la médaille Par M.Henri Dropsy membre de l'institut.

Biographies

Biographies des auteurs

Les artistes et les œuvres par Henri Classens (1930)

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Histoire 

L'œuvre de J-C Chaplain par André Michel
«Journal des débats politiques et littéraires» du 18 mai 1910

- Au lendemain de la mort de J-C Chaplain (12 juillet 1909), je n'ai pu qu'esquisser ici le portrait de l'homme et de l'artiste que nous venions de perdre. Son élève et successeur à l'Académie des Beaux Arts, M. F. Vernon, nous rend aujourd'hui, dans une exposition rétrospective au Salon des Artistes français, son œuvre presque entière. Après avoir erré à travers les sculptures de l'année, trop souvent encombrantes et vainement gesticulantes... (il y a notamment, tout près de l'entrée de l'exposition Chaplain, un groupe tonitruant En carré, pour la Patrie dont les baïonnettes croisées et les figures convulsées mettent le spectateur, plus sûrement encore que l'ennemi, en déroute...) On éprouve à se réfugier dans la salle où sont groupés les dessins, études et médailles de Chaplain une bienfaisante impression de repos et de recueillement. Il avait les bavards en horreur : ici rien ne crie ni ne s'agite ; pas un geste excessif, pas un mot inutile. Que de vie pourtant condensée en ces menues plaquettes, que d'art et de pensée ! Interrogeons un moment l’œuvre de ce silencieux.

La voici tout entière. Le plus ancien morceau remonte à 1864: il venait d'arriver à Rome, pensionnaire de la villa Médicis, ayant obtenu le premier grand prix au concours de l'année: Bacchus faisant boire une panthère (médaille), et Tête de Mercure antique (pierre fine gravée), et sans perdre un jour, il s'était mis au travail. Tout ce qu'il fit dès lors est significatif. Il ne parlait jamais de ses années romaines qu'avec une émotion reconnaissante, une gravité attendrie et quand, trente-trois ans plus tard, il consacrait à son ami, l'architecte Pascal, l'admirable médaille dont il faut voir surtout l'exemplaire fondu, il évoquait, au revers, toute la ferveur enthousiaste de leur jeunesse et de leur foi. Un chêne robuste enfonce, au premier plan, ses racines dans la terre sacrée ; la «campagne» se déploie, ample, harmonieuse et rythmée; au fond du vaste horizon, dans le rayonnement du couchant, se dresse la coupole de Saint-Pierre et entre deux plis du terrain, deux petites silhouettes surgissent, qui au milieu de cette immensité évoquée prennent tout à coup une importance singulière: deux jeunes gens, deux pèlerins, tendant vers la ville, vers le ciel, vers la beauté, des bras impatients et avides, des gestes d'admiration éperdue et d'amour. Dans aucune de ses œuvres, il ne mit jamais tant d'éloquence et de lyrisme.

Il fut du petit nombre des « Romains » qui ne perdirent pas leur temps à Rome. Il aurait pu, comme tant d'autres avant lui, y contracter cette superstition spéciale à la pédagogie académique et romaine, qui considérait comme un danger l'étude du vieil art français... Qu'on me permette ici un souvenir personnel. Je lui apportai un jour, dans son atelier de la cour Mazarine (vers 1888 ou 1889) des photographies de quelques détails des sculptures de la cathédrale de Reims. C'était la série extraordinaire de ces mascarons au sourire déjà presque léonardesque, perdus dans l'ombre des parties hautes des façades des transepts, et quelques-uns des anges qui montent autour de la basilique une garde d'honneur. Il voulait que ce fut du plus beau «quinzième italien» et ne pouvait croire que c'était tout simplement du « treizième français » ; mais il y vint et voulut bien reconnaître que s'occuper de ces choses, c'était tout de même « faire de l'art », contrairement à l'opinion de Charles Garnier qui ne les admettait dédaigneusement que comme « archéologie ». Pour lui, Rome fut un séjour de méditation, de travail, de grave et sincère enthousiasme ; il y prit contact avec les maîtres et avec la nature ; il s'y fit une conception du « style » qui ne fut jamais pour lui une calligraphie stéréotypée et figée, fournissant des formules à la demande, des recettes de « l'idéal » et dispensant à jamais d'observer, de penser et d'aimer. Les maîtres... je crois qu'on pourrait dire qu'il prit surtout, en communiant avec eux, des leçons de simplicité et de volonté. Laurent de Médicis, dans ses Sylves célébrait, mélancoliquement déjà, l'âge d'or où la pensée, ignorante du doute, allait sans effort ni inquiétude à la vérité :
Non dubbio alcun. non fatica ha il pensiero. Senza confusione in tende il vero... Dai saper troppo nasce inquietudine…

Pour les artistes modernes comme pour les penseurs, une inquiétude est née de la complexité croissante des problèmes que la subtilité et la curiosité sans cesse affinées des sensations, le morcellement des écoles et des doctrines ont, d'une génération à l'autre, suscités et multipliés. A l'école des anciens, Chaplain disciplina sa volonté et sa sensibilité, qui, sous une apparence de froideur taciturne, était très vive et vulnérable. Des Cérès copiées à Herculanum, des Déméter dont il modelait le profil auguste dans l'or, il apprit d'abord la « magna tranquillitas » ; et, plus tard, quand son beau-frère et ami Albert Dumont l'eût fait entrer dans l'intimité des peintres de vases de la Grèce propre, il comprit mieux encore tout ce qu'elle pouvait contenir de grâce, de finesse et de variété.

Par le portrait d'ailleurs, et dès ses premiers travaux, il eut à se mesurer avec la nature vivante et il ne perdit jamais de vue qu'à travers les chefs-d’œuvre antiques c'est toujours à une interprétation ou transposition de la vie qu'un artiste doit être ramené. Son directeur, Schnetz en 1864, Mme Francis Wey, en 1865, son camarade Petit de Julleville en 1866, Brune en 1867, lui furent des occasions de montrer, dans ce domaine, sa précoce maîtrise ; nul n'y mit de notre temps dans l'évocation d'une ressemblance individuelle, plus d'intelligence, de pénétration et de sensibilité.

Condenser, résumer, suggérer en quelques traits, c'est la loi que l'art de la médaille impose à ses adeptes. Chaplain y était prédestiné par les plus intimes prédilections de son esprit méditatif et toutes les tendances de son caractère. A étudier l'une après l'autre, la belle série de ses médailles, on assiste, dans l'unité d'une vie et d'une pensée dès le premier jour orientées selon leur véritable norme, à l'élargissement et à l'assouplissement progressifs de son talent. La composition de ses revers est surtout instructive à analyser. Quand il exécute, en 1867, pour l'exposition universelle, la médaille à relief vigoureux qui représente à l'avers Napoléon III drapé dans le manteau impérial, au revers les palais de l'exposition d'où s'élancent vers le ciel trois figures symboliques des Arts et de l'Industrie, il a déjà de fortes qualités de dessin et de style mais son classicisme est tout de même un peu scolaire. A mesure que les exigences des commandes et de « l'actualité » qui les suscite, les appels de la vie contemporaine dont il a à écrire l'histoire à sa manière, l'amèneront à aborder des sujets plus divers et plus imprévus, il fera preuve d'une ingéniosité qui ne demandera jamais aucun sacrifice à la tenue et au style de ses œuvres ; son « style », n'étant jamais d'emprunt et de formule, jaillira de l'observation intelligente, et de la méditation personnelle et directe ; il put lui arriver à certaines heures, et j'en ai reçu de sa bouche même l'aveu, d'hésiter d'abord, par exemple quand il eut à faire la médaille des habitations à bon marché, devant des détails réalistes et familiers que son sujet lui imposait : une certaine « tradition » lui conseillait de s'en tirer par des allégories complaisantes et toutes faites : il alla droit au fait et n'eut pas à s'en repentir.

Mais regardons, au lieu de raisonner. Au lendemain du siège, il eut à commémorer, par une médaille, le rôle des aérostats dans la défense de Paris. La Ville, toujours jeune et belle, appuyée sur l'écusson où le vaisseau héraldique est éternellement ballotté et jamais submergé, se dresse dans un paysage de forts et de casmates : elle regarde au fond du ciel le ballon qui s'efface, et de la main, d'un mouvement adorable, elle lui envoie un signe de remerciement, d'espoir et d'adieu. Quand les marins russes viennent nous apporter la première parole d'amitié, la France, debout sur le quai jonché de fleurs, près d'un mât triomphal, salue de ses deux bras tendus la flotte qui s'approche, et c'est alors un geste d'accueil, de bienvenue et d'acclamation... Un geste, un geste expressif qui soit en même temps pris à la source même de la vie et revêtu, sans rien sacrifier de sa vérité et de son allure, spontanée, d'une immortelle beauté, c'est le triomphe des grands dessinateurs.

Il est, dans la collection des médailles de Chaplain, deux séries particulièrement intéressantes à feuilleter : celle qu'on pourrait appeler des artistes et celle des médecins. Voici Baudry, Delaunay, Garnier, Jean-Paul Laurens, Guillaume, Gounod, Dubois, Henriquel Dupont, sans compter Pascal, dont j'ai déjà parlé. Les portraits sont presque toujours admirables. Paul Baudry avec son front volontaire, son regard inquiet et rêveur, Guillaume, fin jusqu'à la subtilité, qui semble combiner quand il médite, Gounod à l'enthousiasme jaillissant et facile, Delaunay avec son profil têtu et rageur, Garnier, que Carpeaux avait déjà immortalisé et que Chaplain a su refaire, non moins ressemblant, et plus ramassé et plus nuancé dans sa ressemblance, et le michelangesque Jean-Paul Laurens, avec au revers, sur son chevalet de peintre, le grand livre ouvert des chroniques de France.

Pour accompagner et commenter chacune de ces figures, l'invention et le tact du médailleur ne sont jamais en défaut, le revers de Guillaume sculpteur , théoricien et professeur est particulièrement réussi... Mais on peut dire que la tâche était ici relativement aisée ;les symboles traditionnels et, à leur défaut, les figures empruntées à l’œuvre même, du maître fournissent tous les thèmes convenables et adéquats.

Les artistes dramatiques constituent comme une série intermédiaire ; ce sont les médailles de Got, avec au revers, la salle même de la Comédie-Française, celle de Mme Rose Caron avec le décor du quatrième acte de Sigurd. celle de Mme Hartet (dedit musa loqui) debout entre la Source Sacrée et les arcades de la Comédie-Française... Le passage de l'allégorie à la réalié s'y fait avec une aisance telle que l'esprit ne pense pas à soulever une objection. C'est pour la série des médecins que Chaplain dut prendre courageusement parti. Le répertoire de l'école ne lui fournissait pas de modèles ; le moderne réalisme l'invitait aux « documentations » et aux « tranches de vie » implacables. Il s'en tira tout simplement en prouvant une fois de plus que selon la parole de Goethe, toute poésie prend sa source dans la réalité. Le plus souvent, il combine, comme au revers de la plaquette Hartet, l'allégorie discrète et la représentation de la vie contemporaine : pour le docteur Houchard, par exemple, la Science laurée, drapée, bras nus, la plume à la main, médite ; à côté d'elle, les philtres, les microscopes et même la cage des cobayes qui servirent aux expériences libératrices, puis, au fond, par une porte ouverte, la clinique, l'enfilade des lits de malades, une fillette assise sur son séant, les cheveux dénoués, un bouquet de fleurs à son chevet ; plus loin, une vieille enfoncée dans ses draps, son bonnet sur les yeux, et quel portrait que celui du docteur ! Pour Fournier, c'est un mélange audacieux et charmant, d'allégorie anacréontique et d'observation directe. Le docteur est assis, dans sa tenue de clinique ; il a à sa portée la loupe, la table, l'encrier, le casier des papiers d'ordonnances, l'étagère avec toutes les fioles requises... Et devant lui, jetant joyeusement sa béquille, l'Amour guéri s'en va, avec quel joli geste de remerciement et de reconnaissance ! Tandis que le docteur, de la main, lui fait signe de ne pas recommencer. Devant Lannelongue, l'ouvrier blessé et la mère, son enfant dans les bras et serré dans un châle viennent chercher la guérison... Avec une souplesse dont un observateur superficiel pourrait s'étonner, l'art de Chaplain, toujours fidèle à lui-même, passe du tableau de genre au style le plus haut. C'est presque une scène de Greuze que la médaille des Habitations à bon marché, intérieur d'ouvriers avec son décor familier d'horloge rustique, de pots de fleurs près de la fenêtre, de lampe et d'abat-jour ; tandis que la ménagère sert la soupe, que le père fait sauter le poupon dans ses bras et que les jouets du petit attendent sous la chaise...

S'il put parfois, quand le sujet ne rendait pas éprouver quelque lassitude pour l'invention de ses revers et dans le désir de renouvellement qui le hanta sans cesse, il retrouvait devant la nature toutes ses forces et l'on peut dire que ses derniers portraits sont les plus beaux. De plus en plus, avec une sûreté et une sobriété vraiment magistrale, il sut dégager le trait physionomique, marquer dans le seul mouvement de la tête toute l'attitude du corps, caractériser fortement la ressemblance non pas anecdotique mais profonde, pénétrer, révéler tout le dedans, en même temps qu'il élargissait et épurait toujours plus son dessin et son style ; L'œuvre qu'il laisse est pour l'art français un enrichissement.

Nul ne fut plus digne du monument que nous voulons lui élever, et ce ne sera pas (ai-je besoin de le dire) une de ces statues, de ces simulacres encombrants, comme on en a tant consacrés aux plus notoires médiocrités de la politique départementale. Nous mettrons simplement sur sa tombe un signe qui rappellera au passant qu'un maître artiste en qui la pensée, la probité et l'art allèrent de pair, dort là son dernier sommeil et se repose d'un long et glorieux labeur.

André MICHEL.

AVANT-PROPOS DU LIVRE DE L’EXPOSITION : La Médaille en France « de Ponscarme à la fin de la Belle Epoque » qui eût lieu à l’hôtel de la monnaie en juin-septembre 1967. Par Pierre Dehaye Directeur des Monnaies et Médailles

Voici un demi-siècle de médailles françaises, le demi-siècle qui précède la première guerre mondiale, le demi-siècle qui verra la Belle Epoque et s'achèvera par elle, avec elle. Tranche de vie médaillistique qui, globalement, offre une tonalité particulière, illustre une certaine sensibilité, suggère un climat, bien que, comme en tout laps de temps bien arrêté, plusieurs générations se chevauchent. Parmi les médailleurs en cause, certains, tel Oudiné, qui auront disparu avec le siècle, apportent plutôt l'écho du passé, tandis que d'autres les Henry Nocq ( 1868-1944), les Ovide Yencesse ( 1869-1947) n'auront donné, dans la période qui nous occupe, que leurs premiers fruits. Mais une autre génération, celle des hommes nés dans les années 30 à 50, va s'épanouir et régner jusqu'à la guerre. Cette génération est dominée par quelques talents hors pair: Ponscarme (le doyen), l'initiateur Chapu, Chaplain, Roty, Alexandre Charpentier et elle est nourrie par une pléiade d'artistes au renom atténué, de moindre génie sans doute, mais aussi habiles, de ce fait même, à refléter l'esprit de leur époque.

Dans l'Empire finissant, dans la République qui s'installe (pour une troisième fois qui paraît la bonne), se dessinent ou s'accusent certains traits caractéristiques : un souci de dignité , de respectabilité, particulièrement sensible dans le petit peuple, petite bourgeoisie, commerçants, ouvriers des villes et gens de la campagne ; l'importance attachée à la tenue; la vulgarisation des hommages rendus au travail, à l'instruction ; une admiration toute fraîche des progrès techniques ; l'intérêt que suscitent des activités nouvelles, activités de loisirs dont certaines s'intégreront à notre vie de tous les jours pour y prendre une place parfois dévorante : la bicyclette, l'alpinisme, le ski, les bains de mer, l'automobile, l'aéroplane ; sur tout cela, une bonhomie sérieuse, une civilité perdue, une solennité un peu pesante, qui peut confiner à la componction. Ainsi, règne plus que jamais l'allégorie: perle du discours, elle est l'ornement omniprésent de la médaille. Ce n'est pas faute qu'on l'ait dénoncée sous les espèces des héros et des dieux, et de tout le symbolisme issu des armoires aux accessoires de l'Olympe. De fait, la mythologie est en recul, il y a discrédit sur l'égide, le trident, la lyre et le caducée. Mais c'est au bénéfice d'une allégorie bourgeoise, civile, anonyme, ramenée à l'archétype féminin doté des seules armes de ses charmes et, le cas échéant, de ses voiles.

Intrinsèque à la médaille de ce temps, la Femme est moins vêtue, en général, que ceux qui l'entourent, quel que soit d'ailleurs le temps qu'il fait, mais, en revanche, elle est souvent plus légère que l'air, ce qui adoucit toute promiscuité, facilite toute vocation, sourire ou pleurer, méditer fortement, jardiner beaucoup, accompagner ou représenter toujours et favorise tout emploi: mort ou victoire, fée électricité ou vitesse sur route, progrès ou rachat... Les sentiments sont ce qui manque le moins : on en a de beaux, de poignants, d'atroces, d'héroïques, on va même parfois jusqu'au sublime (le regard levé vers le ciel est alors de rigueur); on aime, on tue, on souffre, ces yeux inspirés, ces mains torturées feignent de faire oublier l'impudeur des corps et des attitudes... Décadence du goût, sadisme qui n'avoue pas son nom, on aime les désespérés si la douleur les dévoile, les pauvresses si la misère n'a pas encore flétri leur sein... Ainsi Maurice Rheims, dans son bel ouvrage, L'Art 1900 ou le style de Jules Verne*, s'exprime à propos de la sculpture de l'époque. Cela vaut dans une certaine mesure pour la médaille.

Embrassée d'un regard trop rapide, cette exposition d'un millier de pièces pourrait donc dégager une impression de monotonie et décourager l'attention. Mais si l'on veut bien y prendre garde, on découvrira que l'art médaillistique de cette époque, salué très vite comme un art de rénovation éclatante, non sans une certaine mesure dithyrambique, fut objectivement un " art nouveau ", en rupture avec celui qui le précédait sur un triple plan : déontologique, technique et esthétique.
* Arts et Métiers graphiques, 1965

Au XIXème siècle encore, combien semble oublié l'exemple de Pisanello, et des autres médailleurs de la Renaissance, pour lesquels conception et réalisation sont tout un. Les sujétions de la médaille frappée ont, dès le XVIème siècle, conduit à la séparation des fonctions de créateur et d'exécutant : le graveur et il en sera particulièrement ainsi sous le règne de Louis XIV, où rien de ce qui concerne le service de la gloire royale, vocation exclusive de la médaille, n'est livré à l'initiative individuelle, le graveur doit se borner à tailler dans l'acier une œuvre dont le moindre détail a été fixé par d'autres que lui. La Révolution passera sans modifier radicalement le processus d'élaboration des médailles : les habitudes ne se modifient que lentement ; à l'époque d'Andrieu encore, celui-ci se distingue parmi ses contemporains en incisant ses propres modèles, Bertrand Andrieu (1761-1822). Le graveur, trop souvent, n'est pas un artiste au sens où nous l'entendons aujourd'hui : il est la main, mais l'idée vient d'un autre. Et cet autre n'est pas un " médailleur ", car la technique lui manque pour réaliser ce qu'il conçoit. Cette dichotomie explique sans doute largement, à elle seule, la lente décadence esthétique de la médaille, du XVIIème au XIXème siècle. Si elle reste toujours, ou presque toujours, admirable du point de vue du « métier », elle manque souvent, et de plus en plus souvent, d'expression, de « nerf», de ce quelque chose qui passe d'une vision intérieure frémissante à la matière, lorsqu'un véritable artiste travaille celle-ci. Mais comment faire passer ce frémissement, comment inspirer la matière s'il n'y a pas contact, dialogue entre elle et l'artiste, s'il revient à un intermédiaire d'interpréter un dessin, voire un modelage ! Il y faudrait deux tempéraments égarement artistiques et deux sensibilités sœurs, conjoncture peu probable. On le voit bien, aujourd'hui encore, lorsqu'une circonstance exceptionnelle conduit à la réalisation d'une médaille par la coopération de deux artistes dont l'un crée le thème, le dessine, et dont l'autre le traduit, en modelage ou en gravure : on n'obtient jamais le « croustillant » d'une œuvre originale. Le créateur du thème ne peut imaginer la « réaction » de la plastiline, du plâtre ou de l'acier, ce qui pourrait le conduire à agencer différemment ses lignes, ses plans, les « passages » , les rapports des masses. Inversement, l'interprète est entravé dans son instinct par la fidélité qu'il doit au thème donné ; il ne peut se laisser aller aux variations qui naîtraient normalement en cours de route s'il était seul en cause, car la création est continue : le vrai médailleur sait bien que, du schéma d'origine à sa réalisation, la conception se module, s'adapte, et qu'une idée concertante jaillit parfois de la matière même.

C'est seulement à l'aube de l'époque qui nous intéresse aujourd'hui qu'Oudiné (1810-1887) proclama, telle une loi, que le graveur ne devait pas se contenter d'interpréter le dessin d'un autre artiste ; il imposa à chacun de ses nombreux élèves, comme une règle d'or, comme la pierre de touche de la vocation et comme une obligation de la fonction de graveur, « de ne jamais confier à l'acier que la conception de son cerveau » , selon une expression de Roger Marx, qui connaissait bien la médaille, qui fut un véritable militant de cet art, et qui a célébré à juste titre Oudiné de sa prise de position déterminante *.

Cette exigence déontologique fut opportunément complétée par une révolution technique qui ouvrit la carrière de médailleur à des artistes ne possédant pas le « métier » de tailleur d'acier .

À partir du milieu du XIXème siècle **, en effet, on se mit à utiliser une machine, dite « tour à réduire », permettant de graver mécaniquement, dans la dimension définitive de la médaille, les instruments de frappe de celle-ci, par réduction d'un modèle établi préalablement en grande dimension par l'artiste. Ainsi, la gravure d'une médaille de soixante-douze millimètres de diamètre, par exemple, a-t-elle pu, dès lors, être obtenue automatiquement d'après une maquette modelée d'un diamètre de vingt à trente centimètres : la machine se charge de la réduction du modèle, l'artiste se bornant à vérifier, à la fin du travail de gravure et avant la trempe des aciers, la conformité des instruments de frappe, et demandant, le cas échéant, les retouches nécessaires à un graveur s'il ne pratique pas lui-même le métier de l'acier. Car le médailleur peut désormais n'avoir jamais tenu un burin, on voit quelles conséquences immenses cette trouvaille technique va avoir sur l'esthétique de la médaille : la frontière nette qui séparait la médaille modelée, puis fondue, de la médaille gravée, puis frappée, s'évanouit. La médaille modelée pourra dorénavant être également frappée, la gravure mécanique épousant les reliefs adoucis, amollis, fondus, de la maquette.

L'attrait et (pourquoi ne pas le dire !) les facilités du nouveau « métier » de médailleur allaient rapidement condamner l'antique technique des tailleurs d'acier ; après Alphée Dubois (1831-1905) et Jules-Clément Chaplain (1839-1909), une page de la technique médaillistique se tourne. Ils furent les derniers à être de véritables graveurs. Les nouveaux maîtres, et d'abord Roty (1846-1911), vont se consacrer au tour à réduire.

Cette machine mettait fin au monopole exercé sur la médaille : par la corporation des graveurs et allait favoriser l'avènement d'une esthétique nouvelle. On a quelque mal aujourd'hui, lorsque l'on considère la médaille exécutée par Hubert Ponscarme à l'effigie de Naudet, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, à imaginer que sa date(1867) fut regardée comme celle d'une révolution. Et pourtant, pour la première fois, l'artiste abattait le listel et supprimait le grènetis*. Ainsi s'exprime Jean de Foville faisant, en 1900, le bilan d'un siècle de médaille française ** et c'est un peu comme s'il racontait la destruction d'une Bastille. De fait, l'initiative de Ponscarme était tout à la fois audacieuse et symbolique. Audacieuse si on la rapporte à la rigueur formelle que l'habitude imposait à la médaille de l'époque, rigueur formelle que renforçaient des patines unicolores, foncées, notamment la fameuse patine « chocolat ». Symbolique de tout le renouveau qui va secouer un art où l'habileté du métier, la convention, la sécheresse, la froideur avaient fini par prendre complètement le pas sur l'esprit d'invention et le sens de la vie.

* Roger Marx, Les Médailleurs français depuis 1789. Société de propagation des livres d'art, Paris, 1897
** Le premier « tour à réduire " connu, fut inventé par un médailleur et mécanicien russe, Nartov, au début du XVIIIème siècle (entre 1710 et 1730). Un autre tour à réduire les médailles fut construit par le Saxon Merckleinèn en 1767 suivant le même principe. Au début du XIXème siècle un médailleur de Besançon, Jean-Baptiste Maire, construisit une machine à réduire les médailles sur un principe très différent. Sur un autre principe encore, celui auquel il est fait actuellement recours, Ambroise Wohlgemuth construisit en 1820 un tour à graver et réduire les médailles et camées. A la différence des tours actuels , tous ces tours n'étaient mus qu'au pied ou à la main et ne comportaient pas de fraise comme outils ; ils ne permettaient d'effectuer que des gravures ayant très peu de relief, et leur fidélité approximative exigeait d'importantes retouches manuelles. II en sera ainsi jusqu'à ce que les établissements Janvier aient mis au point, suivant le principe Wohlgemuth, un tour muni d'une fraise tournant à trois mille cinq cents tours par minute grâce à un moteur électrique. C'est sur un tel tour qu'est gravé en 1899 le poinçon des nouvelles pièces d'or dont le type est dû à Chaplain. Peu après, à une date que je n'ai pas exactement retrouvée, la Monnaie de Paris mit en service son premier tour à réduire, construit, en s'inspirant du tour Wolhgemuth, par un de ses mécaniciens, Pascal Domec (né en 1863, Domec entra à la Monnaie en 1882 et y servit jusqu'en 1928, successivement en qualité de mécanicien, de contremaître, puis de mécanicien principal). Mais, bien avant, l'usage du tour à réduire était devenu général pour les médailleurs, qui faisaient exécuter leurs aciers chez des artisans lorsqu'ils ne possédaient pas eux-mêmes une telle machine.

Si les œuvres que notre exposition présente paraissent encore, à nos yeux d'aujourd'hui, assez guindées, qu'on voie bien pourtant que la nature s'y est introduite, que les petites gens y ont fait en masse leur apparition, que la vie de tous les jours s'y profile, souvent avec un charme réel. La médaille, comme la sculpture, se débarrasse, à cette époque, de ses travestis pour adopter le vêtement moderne. L'acceptation du costume journalier est un fait plus révolutionnaire que l'admission d'un néologisme par l'Académie. Un langage plus direct est possible. Inutile, pour s'exprimer, de passer par le truchement de créatures drapées à l'antique ; "la réalité est digne d'être représentée telle quelle, le monde n'est plus synonyme de laideur ou de vulgarité, bientôt les horizons noircis de fumée, les cheminées d'usine, les machines même auront leurs peintres et leurs poètes". Ainsi s'exprime Maître Maurice Rheims *, l'un de ceux qui connaissent le mieux l'art de cette époque, et qui a bien voulu accepter de présenter, dans l'aiguë et fine préface de ce catalogue, la nouvelle esthétique de la médaille.

* Le listel est la bordure en relief qui forme, aujourd'hui encore, la circonférence des monnaies et de certaines médailles. Le grènetis, quelquefois substitué au listel, quelquefois surajouté à l'intérieur de celui-ci, est formé d'une succession de « grains » , points en relief.
** Les Médailleurs français à l'Exposition Universelle de 1900, par Jean de Foville, dans la « Gazette Numismatique française », 1900. Jean de Foville, né en 1842, avait été directeur des Monnaies et Médailles de 1893 à 1900.

Son témoignage est d'autant plus précieux qu'un demi-siècle (et davantage) s'est écoulé depuis les premières louanges qui, d'emblée, célébrèrent les promoteurs de ce renouveau. Ainsi Roger Marx écrit, dès 1898 : « Durant le dernier tiers du XIXème siècle, l'art du médailleur a connu, en France, un degré d'éclat depuis longtemps sans pareil**. » Foville, déjà cité, s'exclame en 1900 : « La renaissance de la Médaille est l'un des événements marquants dans l'histoire de l'art contemporain,... la rénovation d'un art qui, après des siècles de gloire, était depuis cent ans tombé dans la décadence et l'oubli ***. » Foville fait une exception pour les médaillons de David d'Angers, mais n'est-il pas bien sévère pour les Duvivier, Droz, Andrieu, Galle, Brenet, Tiolier, Gatteaux, Barre, Depaulis ou Domard ! Il manquait de recul pour ce qu'il y avait de plus récent mais, peut-être aussi, lorsqu'il s'agissait de la Révolution et de l'Empire, d'une totale objectivité : « Que dire de toute la série de médailles gravées sous la direction de Denon! **** l'art n'y a aucune part ». Quant à Augustin Dupré : « Il ne fut pas réellement artiste. » Son écu à l'Hercule, celui dont le type, refrappé sur notre pièce de dix francs, nous paraît aujourd'hui remarquable ! « Tout le monde le connaît et personne ne le remarque. » Autre chose, n'est-ce pas, « la noble et vivante Semeuse de nos nouvelles monnaies d'argent***».

*Op.cit., p.VI.
** Roger Marx, La Renaissance de la médaille en France, in « The Studio », oct. 1898, Londres. Voir aussi, du même auteur, Les Médailleurs français contemporains, 1898, Paris, Henri Laurens éditeur, et Les Médailleurs modernes à l'Exposition Universelle de 1900, 1901, Henri Laurens éditeur.
***op.cit.,p, x, note **
**** Dominique Vivant Denon (17/7/182) fut, à son retour de la Campagne d'Égypte, en 1804, nommé directeur des Musées et de la Monnaie, et occupa ces postes jusqu'en 1815.

A étendre la comparaison en remontant le cours du temps, l'enthousiasme ne se tempère pas : Chaplain, regardé à l'époque comme chef d'école incontesté, ne peut souffrir de se voir rapproché des Pisanello, Matteo dei Pasti, Boldu et autre Sperandio : « Il est plus violemment vrai qu'eux-mêmes. » Quant à Oscar Roty, le maître qui monte, celui dont l'influence se répand partout : « Ni les anciens, ni les médailleurs italiens de la Renaissance n'ont dépassé en leurs plus délicats portraits de femme cet art attendri et parfait. » L'éloge se nuancera-t-il de relativité avec un artiste qui n'a pas encore conquis la grande notoriété, un Coudray, alors âgé de trente-six ans, « grand espoir de la jeune école » ! Nenni : dans son Orphée, « toute la beauté de la douleur antique revit*».

La louange de Foville présente-t-elle un caractère isolé! Aucunement. Dans un substantiel article de la Revue belge de Numismatique en 1910, nous pouvons, par exemple, relever ce jugement : « La France a montré, depuis trois quarts de siècle, une efflorescence de cet art (la médaille) qui n'a été surpassée à aucune époque. Et de citer Chaplain , Roty, Daniel-Dupuis, « ces artistes éminents » , et de préciser: «Jamais un graveur grec ou italien n'a atteint la grandeur tragique qui se dégage de l'étonnante plaquette des funérailles de Carnot, par Roty**. »

Si, pourtant, l'art des médailleurs de la Belle Époque nous paraissait, de prime abord, plus éloigné de nous que celui des graveurs de monnaies grecs ou des médailleurs de la Renaissance, il importe que nous trouvions en cela l'occasion d'une réflexion sur la relativité des jugements esthétiques et nous serons reconnaissants à ceux qui vont nous aider, en la circonstance, à dominer les fluctuations du goût en accordant aux œuvres de chaque époque le regard qu'elles méritent, tout particulièrement à Maître Maurice Rheims, dont l'autorité vibrante anime la riche préface qui suit, au Maître Henri Dropsy et à M. Hubert Yencesse qui nous ont fourni des notices substantielles, sans oublier ceux qui ont bien voulu nous prêter les œuvres qui ne figuraient pas dans les collections de la Monnaie, prêteurs dont on trouvera plus loin les noms.

A tous, j'exprime un très sincère et chaleureux remerciement.

Pierre DEHAYE
Directeur des Monnaies et Médailles

* Jean de Foville, oP. rit., p. x, note **.
** Ch. Buis, Esthétique de la Numismatique, 21 p. ; in « Revue belge de Numismatique » , Bruxelles, 1910.

Jules Chaplain A Paris Le dimanche 4 décembre 1910
DISCOURS de Raymond Poincaré de l'Académie française.

Messieurs,

A la mémoire du noble artiste que fut Jules-Clément Chaplain, il fallait que fût consacré, par les mains pieuses de ses amis et de ses admirateurs, un monument d'une simple et sereine beauté ; et il convenait que l'inauguration en eût lieu, par un jour un peu triste, sans aucun apparat, dans la paix de ce cimetière et dans l'intimité de cette réunion. Les purs médaillons de MM. Puech et Vernon, harmonieusement encadrés dans les lignes sobres qu'a tracées M. Moyaux, cette stèle funéraire nous rappelant, avec la physionomie de Chaplain, une des grandes douleurs qui l'ont frappé, un ciel gris, le silence des tombes, le concours et l'émotion sincère de quelques amis, voilà ce qu'exigeait le souvenir du maître. Si nous avions cherché à glorifier son nom dans un décor plus somptueux, nous aurions trahi sa pensée et méconnu la réserve et la dignité de sa vie discrète et laborieuse.

Né à Mortagne, le 12 juillet 1839, Chaplain était entré à l'Ecole des Beaux-Arts en 1857. Il avait été l'élève du sculpteur Jouffroy qui, plus tard, avant de mourir, a vu Chaplain devenir son confrère à l'Institut, et du médailleur Oudiné, dont il parla toujours avec une touchante reconnaissance.

Bien qu'il eût eu, de bonne heure, un rare talent de statuaire, il éprouva vite une attraction particulière pour la glyptique et l'art de la médaille. Il semblait que déjà sa nature méditative et concentrée aimât à se refléter dans des créations où fût résumé, en quelques traits décisifs, beaucoup d'âme et de vérité.

En 1860, Chaplain obtint le 2ème prix du concours de Rome pour la gravure en médailles et en pierres fines. Il avait traité, avec une liberté encore un peu entravée, un sujet d'école : un guerrier déposant sur l'autel du dieu Mars la palme de la Victoire. Trois ans à peine s'étaient écoulés que le génie de l'artiste se débarrassait de ses lisières et que le jury décernait à Chaplain le premier grand prix pour une médaille, où un charmant Mercure faisait boire une panthère, et pour une pierre fine, où était gravée, avec une véritable divination de l'antiquité, une autre tête d'Hermès.

De 1864 à 1868, Chaplain fut l'heureux pensionnaire de la villa Médicis, et, tous les ans, il fit aux Salons parisiens des envois, bustes, médaillons ou médailles, qui révélèrent vite aux connaisseurs la naissance d'une personnalité nouvelle. Pendant ce temps, avec cette conscience scrupuleuse qui fut, dès sa jeunesse, le signe de son talent, Chaplain poursuivait à Rome ses études artistiques ; sa curiosité infatigable y sollicitait les leçons du passé et il s'y mesurait, dans des dessins attentifs, avec les maîtres de la Renaissance italienne.

De ce long séjour sur le Pincio, Chaplain garda des impressions ineffaçables et, longtemps après, en 1897, lorsqu'il grava sur une plaquette le profil de son confrère et ami l'architecte Pascal, il mit au revers, dans la silhouette des deux jeunes gens qui, à travers la campagne romaine, se dirigent vers Saint-Pierre, un reste de l'enthousiasme de ses vingt-cinq ans.

Rentré à Paris, Chaplain prit sa part des angoisses et des dangers de la guerre ; puis il se remit, avec la vaillance d'un bon ouvrier, à la besogne interrompue. Il ne cessa plus de produire, soit d'excellentes compositions sculpturales, comme la statue de Rollin, qui orne le grand amphithéâtre de la Sorbonne, soit surtout de ces petits chefs-d’œuvre, où il éternisait le fugitif secret d'une physionomie humaine.

Je le revois encore, travaillant sur la fin de sa vie, dans le petit atelier de la rue Mazarine, où tombait la lumière mélancolique de la vieille cour de l'Institut. Il était alors comblé d'honneurs et environné de gloire. Le dévouement d'une femme digne de lui enveloppait sa vieillesse ; les affections familiales réchauffaient son foyer ; mais des tristesses successives avaient ravagé son cœur, et il comprimait, au fond de lui-même, avec une résignation stoïque, un désespoir qui ne voulait pas de consolation.

Le travail seul lui servait de diversion. Il fallait le voir dans cette arrière-salle encombrée de gravures, de moulages, de bibelots, assis devant son chevalet et s'obstinant, avec une patience infinie, au modelage d'une figure. Sur le visage qu'il cherchait à reproduire, il observait longuement les traits caractéristiques, les lignes qui paraissent négligeables et qui sont essentielles, les riens dont se compose un tout ; et, de ces détails, relevés d'abord avec minutie, il extrayait ensuite, par une science consommée de la synthèse, ce qui devait survivre dans le relief du métal, sur l'avers de la médaille. Pendant qu'il accomplissait cette double tâche d'analyse et d'élimination, il semblait livrer, dans un grand calme, un héroïque combat contre la nature et il restait volontiers silencieux. S'il engageait une conversation, c'était par phrases brèves, chargées de pensée, avec un mépris visible des mots inutiles.

Il apportait une loyauté aussi méticuleuse dans la préparation de ses revers. Les allégories ou les symboles qu'il y représentait se formaient lentement dans son esprit, sous l'effort d'une réflexion solitaire et, avant de les immobiliser par la fonte ou par la frappe, il les dépouillait de toutes complications superflues, les simplifiait, les ramenait aux données maîtresses et aux indications indispensables. Il professait, avec raison, que l'art de la médaille a des lois rigoureuses, qu'il ne se confond ni avec la peinture, ni avec la sculpture, et qu'à vouloir imiter la perspective de l'une ou la plastique de l'autre, il commettrait une erreur mortelle. Chaplain était, du reste, dans toutes ses compositions, servi par un goût parfait et par un sentiment de la mesure qu'il avait puisé aux sources vives de l'antiquité. L'amitié d'un beau-frère qui fut un grand archéologue et un grand lettré, et dont le nom est resté cher à l'Université française, Albert Dumont, a conduit Chaplain, jeune encore, sur le chemin de la vieille Grèce. Dans une étroite et féconde collaboration, les deux amis ont étudié tous les anciens vases, hydries et lécythes, coupes et amphores, cratères et canthares, et Chaplain les a fidèlement reproduits dans des planches où s'exprime son respect religieux de la beauté antique. On retrouve dans ses médailles quelque chose de l'idéale simplicité et de la grâce immortelle qui avaient, sous le ciel d'Athènes, charmé ses yeux d'artiste.

Nous avons dû, cette année même, à l'heureuse initiative de M. Vernon, de pouvoir admirer, d'ensemble, au Salon des Artistes français, l'œuvre si riche et si divers de notre ami regretté. Combien de chapitres de notre histoire contemporaine ne se trouvent pas écrits, dans un style impérissable, sur les mille tablettes de cette collection! Après la galerie, parfois un peu sévère, des Présidents de la République, voici celle des peintres : Baudry, avec, au revers, le génie de la peinture et, dans le fond du champ, l'Opéra ; Gérôme, avec une mosquée et un sphinx ; Jean-Paul Laurens, avec un chevalet où repose le livre des anciennes chroniques de France ; Meissonier ; Bonnat ; Cabanel, avec une femme qui regarde une étoile ; Delaunay, avec un Apollon jouant de la lyre. Et puis voici les hommes politiques : Gambetta, Jules Simon, Jules Ferry ; les sculpteurs, comme Guillaume ; les poètes, comme Victor Hugo ; les compositeurs, comme Gounod ; les architectes, comme Garnier ; les savants, comme Joseph Bertrand, Hervé Faye, Hermite, Berthelot; les acteurs, comme Got ; les cantatrices, comme Mme Caron ; les administrateurs ou les moralistes, comme Gréard ou Liard ; les historiens, comme Sorel ; les médecins comme Trélat, Tillaux, Bouchard, Fournier ; les divinités, comme Mme Bartet.

Ajoutez à cela la magnifique série des médailles commémoratives, depuis « l'Exposition universelle de 1867 », jusqu'à « la Visite de l'Escadre russe à Toulon » ; depuis « les Aérostats à la défense de Paris » jusqu'à « l'Inauguration de l'Hôtel de Ville », depuis « la Commission internationale du Mètre », jusqu'aux « Jeux olympiques d'Athènes ».

Dans la manière de traiter des sujets si variés, Chaplain ne laisse jamais pénétrer aucune monotonie. Spirituel lorsqu'il nous montre l'Amour guéri, il est tragique, s'il représente la Ville de Paris assiégée ; lyrique, s'il célèbre la grandeur des Expositions ; élégiaque, s'il consacre une médaille à la Protection des Enfants du premier âge ; épique, s'il figure la France, la tête ceinte d'une couronne de lauriers, accueillant les vaisseaux d'une nation alliée. Mais, dans ces changements de ton nécessaires, jamais n'éclate une fausse note, jamais ne se glisse une faute de goût. Partout et toujours, c'est le même souci de l'harmonie, le même tact, la même pondération. Partout et toujours, se retrouve, sous les formes qui s'adaptent à des sujets différents, cette unité de style qui était, chez Chaplain, la projection artistique de son irréprochable unité de caractère.

En revoyant, cet été, un si grand nombre de ses œuvres réunies au Grand Palais, nous avons mieux compris quel grand artiste il était. En nous groupant, ce matin, au pied de cette tombe, nous sentons plus douloureusement, dans la communauté de nos regrets, quel précieux ami nous avons perdu.

La leçon d'Hubert Ponscarme

Au printemps de 1868, une délégation de membres de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, tenant à l'honneur de célébrer le jubilé de Joseph Naudet, qui appartenait à la Compagnie, vint à l'atelier du graveur en médailles Hubert Ponscarme. Les collègues de Naudet, désireux de lui faire une surprise, avaient souscrit chacun vingt francs pour lui offrir un objet d'art. Ils demandèrent donc à l'artiste s'il pouvait, de chic, exécuter un médaillon de Naudet. « Je le pourrais sans peine, répondit Hubert Ponscarme; cependant je ne le ferai point. Si vous voulez, j'exécuterai cette médaille, non de chic, mais sérieusement, en prenant mon temps. Cela ne vous coûtera rien. A une condition expresse: c'est que vous la prendrez telle quelle, sans récriminer . »
La convention fut acceptée.
La médaille de Naudet est un événement dans les annales de la glyptique française au XIX è siècle. C'est de cet ouvrage que date, depuis lors, l'évolution décisive de ce genre. Comme rien, dans la carrière d'un artiste, ne surgit ex-nihilo, que ce chef-d'œuvre était la résultante de longs travaux préalables; que ce fut d'ailleurs, pour ce maître une étape et non un aboutissement nous allons, avant d'en préciser l'importance, avant d'exposer ce qu'elle apporta de neuf, résumer ce que Ponscarme avait antérieurement produit. François- Joseph Hubert Ponscarme naquit le 20 mai 1827 à Belmont, petit village des Vosges, douzième enfant d'une famille de paysans. Comme il manifestait peu d'aptitudes pour les travaux rustiques, son père songea à faire de lui un prêtre. L'enfant n'y tenait pas davantage.

Une légende, peut-être fabriquée après coup pour les besoins d'une biographie bien comprise, prétend que le petit laboureur poussant sans joie le soc de la charrue, découvrit un beau matin une médaille à 1'effigie de Caracalla; il s'ingénia à la reproduire par moulage à la glaise ou par copie directe sur une pierre dure. Puis il s'essaya à ciseler des figures, des arabesques, des ornements. On le mit au séminaire de Sénaïde, où il occupa ses loisirs à s'approvisionner de pierres lithographiques et à y graver. Il passa ensuite au Séminaire de Chatel.
Il s'échappe enfin et rejoint à Paris un de ses frères, répétiteur au Lycée de Saint-Louis. Années de privations et de labeur opiniâtre. Hubert suit les cours d'Oudiné et de Galle, graveurs en médailles de grand renom. Mais, vaincu par la misère, après des mois d'hôpital, il doit retourner à la maison natale. Ces tribulations ne l'ont pas découragé, il entend forcer son destin. Un homme de goût et de cœur, le docteur Haxo, le remarque, le soutient, lui fait obtenir une subvention départementale qui lui permet de reprendre le chemin de la capitale: 400 francs par an.
Mais, l'Administration Française n'était, en 1850, pas toujours pressée d'expédier à l'étudiant ce maigre subside, nous avons sous les yeux une lettre de Ponscarme au Docteur Haxo : "Monsieur, dit-il, je vous en prie, faites hâter l'envoi. j'ai du mendier vingt sous, ne possédant plus rien et n'ayant point mangé depuis 48 heures. Mes draps sont au Mont de Piété. C'est une chose bien cruelle que d'être à Paris sans le sou".

Grâce à Haxo et à Oudiné on porte la subvention à six cent francs et deux ans plus tard Oudiné écrivait."Mes prévisions ne m'ont pas trompé. J'ai la joie d'annoncer que mon disciple vient d'être chargé officiellement par le Ministre d'Etat et la Maison de l'Empereur, d'exécuter le buste de Sa Majesté."
Sera-ce la fin de la lutte? Non, mais l'aurore de jours meilleurs. Une fois de plus, que nos jeunes lecteurs se convainquent que le chemin de la gloire n'est pas jonché de roses.
Certes, le maître Vosgien l'a connue, cette gloire, dont il se souciait si peu. Indifférent à ce qui n'était pas son œuvre, le reste, succès, honneurs, argent, ne l'attirait pas. Les opinions admiratives ou restrictives des contemporains le laissaient froid. Ce n'est que plus tard, deux ans à peine avant sa mort, que sur les sollicitations d'un numismate étranger, il consentit à céder au Musée de Hambourg une centaine de médailles et de médaillons. Et c'est en cette ville lointaine qu'il est loisible de prendre une vue d'ensemble de son œuvre.

Le prédécesseur immédiat de Ponscarme, son patron Oudiné, brave homme, nous l'avons vu, esprit compréhensif, n'est pas un inventeur. Toutefois, son enseignement fut valable, plus sans doute que son œuvre même, il souhaite se libérer de la copie, il est indéniable que le style néo-grec, l' avait fasciné. Il était modeste et la meilleure preuve en est qu' au déclin de sa carrière il subit l'influence du disciple formé par ses soins et suivit à son tour les conseils du novateur. Continuons notre petite incursion chez les devanciers. Sous la Restauration, la glyptique a pour tenants de solennels pompiers. Michaut seul fait exception. Dans un éclair de génie, il donne, avec son écu à l'effigie de Louis XVIII, une vraie petite merveille d'élégance et de clarté. Edmond About qualifie ainsi cette pièce « lorsqu'on jette cet écu sur le comptoir d'un marchand on ne se doute pas qu'on dépense un chef-d’œuvre ».
Avant lui, le fougueux David d'Angers ne saurait être omis. La série de ses médaillons d'après les contemporains: c'est la suite métallique du romantisme mais la technique tourmentée de David, image de son âme même, est dépourvue de la sérénité qui sied à l'art de la médaille.
Poursuivons notre marche arrière quelque peu encore: Les Nicolas Briot, les Warin; les Mauger et les Roettiers qui divinisent le Roi-Soleil dans le style ronflant de l'époque; ni les Duvivier de Louis XV, arrêtons-nous aux médaillons de la Révolution. Les hommes de la Révolution comprirent l'importance du rôle de la médaille. A l'occasion de la délivrance des villes de Lille et de Thionville et du départ des armées autrichiennes, Louis David proposa à la Convention, au cours de la séance du 26 octobre 1792, de commémorer cet événement par la frappe d'une médaille dont un exemplaire devait être remis à chacun des citoyens des deux villes assiégées. « Je désire, ajouta-t-il, que ma proposition de frapper des médailles soit acceptée pour tous les actes glorieux de la République et cela à l'imitation des Grecs et des Romains qui, par leurs suites métalliques, nous ont non seulement donné la connaissance des événements remarquables, celle des grands hommes, mais encore celle des progrès de leur art. » Toute l'actualité fut, durant cette époque, fiévreusement mise en médailles; on jeta au creuset les verrous de la Bastille, les cloches des couvents. La médaille devint un instrument de combat, de propagande, comme le journal ou le pamphlet. Les auteurs n'en étaient autres que les ci-devant graveurs du roi; ils avaient bonnement changé leur fusil d'épaule, mais on retrouve souvent dans leur art certaines habitudes, certaines manières, d'un sentimentalisme à la Greuze, qui détonnent en 1790. C'est Duvivier dont les gentillesses paraissent alors désuètes; Augustin Dupré s'efforce, lui aussi, à revêtir d'amabilité le symbolisme révolutionnaire et n'hésite pas à faire du profil de Madame Récamier le type monétaire de la Révolution. Un prix de Rome est fondé en 1803; on attribue aux médailleurs deux sièges à l'Institut. L'histoire métallique de Napoléon 1er est, sous l'égide de Vivant Denon, asservie au pastiche de l'art gréco-romain, le visage du Conquérant emprunte les traits de César, et les médailleurs rivalisent d'empressement à glorifier le grand'homme.

La décadence se précipite et Galle demeure le ciseleur de boutons de ses débuts. Apothéose de la virtuosité, dégénérescence de l'art. Voilà, esquissés à larges traits, la courbe de ce qui précède l'auteur de la médaille de Naudet. Il était temps de réagir, de revenir à Nicolas Briot et à Warin; de revenir surtout au Maître dont nous n'avons pas eu à parler ici, l'immortel portraitiste de Novella Malatesta, de Cécile de Gonzague et de Lionel d'Este, le florentin (ou Véronais), Pisanello. Celui-là, l'émule en tant que peintre du sombre Ucello ou de l'adorable Gentille da Fabriano, a légué une série de médailles que nul n'a, depuis lui, égalées. Il s'est souvenu des monuments numismatiques de l'antiquité, leur a emprunté la belle forme, lenticulaire du flan, l'opposition de la tête du droit avec le type du revers. Mais quel ferme accent, quelle concision, quelle autorité, quelle délicatesse de touche dans le modelé des profils, dans l'étagement des plans, quels magnifiques raccourcis inscrits dans le disque des revers!
C' est à lui directement que remonte et s' affilie Ponscarme.

Dans l'état d'abaissement où la médaille était tombée vers le début du XIXe siècle, Ponscarme revient aux traditions oubliées des médailleurs italiens de la Renaissance. Il reprend le métier au point où l'a laissé Pisanello. Il va traiter la médaille non comme un bijou sec et strictement décoratif, mais en faire une oeuvre précise et vivante. Il va s'insurger contre les errements de ses prédécesseurs immédiats qui détachaient comme à l'emporte-pièce les formes en relief sur le champ poli. Il adoucit les modelés de la figure, vise à transférer sur le métal la souplesse du travail, de la glaise ou de la cire, faisant rendre à son burin ce que dans l'antiquité, on avait obtenu inconsciemment par l'emploi des coins de bronze dont les angles s'arrondissaient à l'usage. Grâce à lui le fond prend désormais la couleur mate du relief. Ce relief, Ponscarme l'atténue, et l'effigie, ne saillant plus durement, se trouve, de cette façon, fondue et liée au champ de la médaille pour former ainsi un ensemble harmonieux. La précision, la pureté, la finesse pisanelliennes les voici revivre dans le portrait de Joseph Naudet " Autrefois, dit M. Roger Marx, sur le champ poli tel un miroir émergeait en une masse terne la composition, et c'était entre le sujet et le fond, une absence de lien d'un déplaisant illogisme. Ponscarme applique à la médaille la technique du bas-relief et sa réussite est d'un maître"
Une révolution, ce médaillon. Le graveur ne s'était pas borné à mater le fond pour obtenir l'unité; la tendresse du modelé y protestait avec éloquence contre l'exagération habituelle des saillies et la dureté des contours. Bien plus, Ponscarme s'aventure à s'affranchir du cadre d'un listel inutile; puis renonçant à l'emploi des caractères typographiques vulgaires, sans convenance, il contraignit la légende, par le style approprié des lettres et la variabilité de leur disposition, à prendre le rôle ornemental de l'écriture arabe ou japonaise et participer pour l'effet au pittoresque de l'ensemble.
« A la faveur de cette émancipation d'avec les forces routinières, l'école se transforma, s'éprit de sincérité, de poésie, de grâce, se ressaisit, rouvrit la veine française, demanda à la spontanéité de l'inspiration, à la vision directe de la nature le rajeunissement d'une radieuse renaissance ». L'élan décisif donné, les jeunes artistes comprirent la leçon et nous avons dit plus haut le geste touchant du vieil Oudiné, profitant des trouvailles de son élève. Il ne faudrait d'ailleurs pas s'imaginer que la révolution opérée par la médaille de Naudet éclata subitement. Quand on examine avec attention l’œuvre de Hubert Ponscarme depuis ses débuts jusqu'en 1867, on se persuade que le portrait de Naudet est une étape, non un départ. Son propre portrait rompait déjà avec la tradition de David d'Angers. En cette dernière image, datée 1848, la tendance à lier le thème avec le plan du métal s'affirme déjà clairement. Oudiné, l'ayant vue s'écria « On dirait un crayon d'Ingres ».
D'autres ouvrages, entre 1850 et 1860 accentuent la tendance libératrice. Ce sont: La femme au bonnet, Mlle Gudin, Le Frère de l'auteur, diverses médailles commémoratives et l'image du Prince Impérial. Ceci nous amène à rappeler que Ponscarme, en dépit de ses opinions anti-bonapartistes, travailla mais sans la moindre concession, pour le régime qu'il avait combattu. « La veille de l'inauguration de la statue de Napoléon 1er de la place Vendôme, l'auteur de cette figure, Augustin Dumont, pensa à moi et me fit donner la commande de la médaille commémorative. Il n'avait pas caché à l'Empereur que j'étais républicain ». « Bah, » avait répondu Napoléon III, « je l'ai bien été moi aussi ». Mais Hubert Ponscarme l'était resté. Cette médaille est trop connue pour qu'il soit nécessaire de la commenter; l'effigie du souverain y est noble tout en demeurant véridique. Napoléon III décora son portraitiste. Satisfait, une fois n'était pas coutume, de l'impression produite, Ponscarme ne quitta plus la voie où il s'était engagé. Le portrait de la famille impériale est, en dépit du tour de force technique qui consiste à réunir trois têtes en un espace restreint et sur une faible épaisseur de matière, d'un équilibre parfait; le graveur a donné à chacun des profils superposés sa valeur juste et l'on sent alentour, de l'espace et de l'air. Les images de Louis Blanc, Jules Brame, Edgar Quinet sont de même classe. Le penseur d'anciens diraient l'utopiste, qu'était Hubert Ponscarme conçut ensuite une tête de République qu'il proposait comme projet de monnaie; elle inquiéta la prudence de Thiers, mais plut à Jules Ferry qui l'accepta pour médaille de la fondation du Musée Européen. Ponscarme grava encore la pièce d'or où s'inscrit le visage de Charles III, prince de Monaco. C'est un des plus beaux jetons monétaires du siècle dernier.

Il serait monotone et superflu, notre essai de démonstration étant, pensons-nous, suffisant, de prolonger la nomenclature des ouvrages de Ponscarme : nous n'aurons cependant garde d'omettre le saisissant revers, robuste et grave, de la médaille des Epidémies (1887); la méthode instaurée en 1867 fut poursuivie sans défaillance jusqu'à la fin. Dès 1895, Ponscarme songeant à tirer le meilleur parti possible des valeurs obtenues par l'alternance des lumières et des ombres, rejoint, on l'a remarqué avec justesse, les recherches des coloristes impressionnistes. En ces œuvres de l'ultime période, les saillies n'existent presque plus, sans aller jusqu'à dire que c'est ici la faillite de la ligne, on est en droit d'écrire que l'art de la médaille se ramène enfin à une série de plans harmonieusement fondus et combinés, la lumière court sur les surfaces, effleure les reliefs et ombre les creux; s'atténue en subtils dégradés. Les fonds semblent s'éloigner, s'abolir en une demi-atmosphère de songe vaporeux et d'immatérialité. Les bases d'une nouvelle école de médailleurs étaient désormais jetées. On sait avec quel talent Yencesse ou Alexandre Charpentier, pour ne nommer que ces deux prédécesseurs de feu Pierre Roche, de MM. Dropsy, Pommier, de feu M. Dammam, ont repris et maintenu le flambeau tombé des mains du maître, qui mourut en 1903, âgé de soixante-seize ans. La médaille est sans contredit la formule la plus nette, concise, elliptique des arts plastiques et la pérennité lui est assurée. La fresque, en effet, s'effrite; le tableau noircit, s'écaille. Les Eros de pierre et les Vénus de marbre nous parviennent dégradés et mutilés. Mais Athènes, Syracuse, Marathon, Carthage, Florence, Paris et la France d'antan, revivent grâce à la médaille. La beauté grecque survit sur les statères d'Agrigente, de Salamine, de Catane et de Régium « le buste survit à la cité ». La médaille de bronze, elle, immortalise les concepts des mythologies périmées, nous transmet vingt-cinq siècles d'histoire, perpétue jusqu'à nous les fastes de l'époque divine, légendaire, humaine.

Thérèse VALLIER

Art & Techniques

La gravure et la médaille (1987)

L'apparition, vers le VIII siècle avant J .-C., de la glyptique (1), et plus précisément des cachets et sceaux-cylindres mésopotamiens gravés en intaille au touret (2), ouvre la voie à la gravure monétaire lorsque le développement des échanges commerciaux appellera et imposera l'usage de la monnaie.

D'abord en Asie Mineure, puis très rapidement essaimé durant le VIe siècle avant J.-C. sur tout le pourtour du bassin méditerranéen qui composait le monde hellénistique, le monnayage grec atteignit aux plus admirables productions de l'Antiquité. Par essence instrument d'échange, l'espèce monétaire devint ainsi, dès sa naissance, un objet d'art. Les pièces étaient obtenues par le procédé de la frappe au marteau (3) mais nous ne savons malheureusement que peu de choses des moyens techniques, forcément rudimentaires, dont disposaient ces artistes pour la confection des coins. On peut toutefois imaginer que, outre le touret évoqué plus haut, des outils incisifs proches de nos burins étaient déjà utilisés. Il reste que nous devons au génie grec les prémices, demeurées insurpassées, de l'art numismatique. Cependant, la médaille demeura inconnue de l'Antiquité et du Moyen-Age. Il faudra, en effet, attendre le XVe siècle pour qu'un artiste toscan singulièrement inspiré, du nom de Vittorio Pisano, dit Pisanello, nullement graveur, ni même sculpteur, mais jusque-là peintre et surtout fresquiste, crée une œuvre étonnante sous forme de bas-reliefs circulaires de petite dimension, d'abord modelés probablement en cire, puis fondus (4) en bronze. D'une facture aussi hardie que savante et riches d'une originale spiritualité, ces chefs-d’œuvre, fruits achevés de l'humanisme de la Renaissance, recèlent d'emblée la spécificité même de l'art de la médaille, à savoir la complémentarité concertante d'une face et d'un revers.

A l'instar des œuvres de Pisanello, les médaillons fondus, puis ciselés, de Germain Pilon et de Guillaume Dupré comptent, par la qualité des portraits et leur magnificence, parmi les plus prestigieuses merveilles de la Renaissance française et beaucoup plus près de nous, fameux sont les médaillons du talentueux David d'Angers et les spirituels portraits-esquisses d'Alexandre Charpentier . Néanmoins, contrairement à l'Italie par exemple, les médailles fondues demeureront des exceptions en France où dominera constamment la médaille frappée.

En ce qui concerne l'histoire des techniques numismatiques, on distingue trois grandes périodes :

  • l'ère de la frappe au marteau, qui s'étend des origines jusqu'au X VIe siècle ;
  • l'ère de la frappe au balancier, du XVI è au XIX è siècle ;
  • l'ère de la presse monétaire, enfin, caractérisée, depuis 1830 environ jusqu'à nos jours, par une productivité sans cesse accrue.


Soucieux de réglementer et d'améliorer les fabrications, Henri II suscita la mécanisation de la frappe en ordonnant, en 1551, l'importation, depuis Augsbourg en Allemagne, et l'installation dans les ateliers royaux d'un ensemble de matériels nouveaux essentiellement composé de laminoirs destinés à donner aux lames métalliques une épaisseur constante, de coupoirs pour découper les flans et surtout d'un balancier (5), dont le principe réside dans la puissance de percussion d'une vis. Rapidement mis en œuvre, ces outillages permirent la frappe de monnaies et de médailles parfaitement rondes et en tous points identiques.

Conjointement, il fut bientôt possible d'insculper en creux ou d'obtenir en relief une inscription sur la tranche, grâce à l'invention de la virole brisée (6). Sans doute devons-nous essentiellement à la prédominance, en France, de la médaille frappée, nous l'avons dit plus haut, la survivance de la pratique de la taille directe jusqu'à nos jours. Cependant, l'avènement, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, d'un procédé de gravure mécanique intervenant au niveau de la création des modèles et des outillages originaux ouvrit une nouvelle ère de la numismatique, celle de la médaille modelée pour la frappe. Conçue selon un principe analogue à celui du pantographe, cette machine appelée « tour à réduire » (7) permet, en effet, à des plasticiens, en premier lieu à des sculpteurs, d'accéder par l'intermédiaire de maquettes à la réalisation de médailles et de modèles monétaires, jusque là apanage des seuls graveurs sur acier.

Généralement, la gravure est ensuite perfectionnée par l'utilisation des échoppes et des ciselets, voire de rifloirs, de grattoirs et de pierres à polir. Mais l'état d'achèvement de la gravure d'une médaille est affaire de goût et d'esthétique de la part du graveur. De toute manière, c'est la sûreté de métier de celui-ci qui, par les effets combinés de différents outils, va assurer à son travail, dans la variété des tailles, l'aisance et la fraîcheur de l'exécution. Dans le cas d'une gravure en relief, le graveur travaille à l'endroit. Le poinçon, durci après traitement thermique (trempe), peut être enfoncé dans un autre bloc d'acier ; on obtient ainsi la matrice nécessaire pour frapper une médaille ou une monnaie.

Il faut noter que, grâce aux techniques et l'enfonçage d'un poinçon dans un coin ou, au contraire, du relevage d'un poinçon d'après une matrice, le graveur peut, s'il le juge nécessaire pour mener à bien son entreprise, travailler ainsi successivement en creux ou en relief autant de fois qu 'il le voudra.

En un sens entreprise commerciale, l' Administration des Monnaies et Médailles n'en tient pas moins à l'honneur de promouvoir la créativité artistique par une action de mécénat que nul autre que l'Etat ne saurait plus exercer en son lieu dans le contexte économique contemporain. Il n'est que de consulter aujourd'hui ses catalogues où sont répertoriés les noms et les œuvres de plus de cinq cents artistes graveurs et médailleurs et de considérer les nombreuses expositions présentées dans ses murs, l'une des dernières et non des moindres ayant été consacrée aux « Métiers d'art français contemporains », sous l'égide de la S.E.M.A., pour constater de quelle éclatante façon la Monnaie s'acquitta en notre temps de ce rôle sous l'impulsion de Directions (8) successives, ouvertes à tous les courants esthétiques comme à toutes les individualités et animées d'une même volonté visant à faire de la médaille actuelle un art bien vivant .

Emile ROUSSEAU. Graveur Général des Monnaies.

(I) Anciennement appliqué à l'art de la gravure en général, ce mot ne s'entend plus aujourd'hui qu'à propos de la gravure sur pierres fines.
(2) Petit tour dont le mouvement de rotation provient d'une pédale actionnant un outil nommé bouterolle, constitué d'une tige de fer ou de cuivre présentant à son extrémité un renflement capable, enduit d'huile mêlée de poudre de diamant ou d'émeri, d'user par frottement la matière à graver manipulée par l'artiste.
(3) Le flan de métal destiné à recevoir l'empreinte des gravures était placé entre les deux coins gravés en creux, nommés pile et trousseau. La pile était fixée dans un billot de bois et le trousseau, mobile et fermement tenu d'une main par le monnayeur était frappé de l'autre, de coups de marteau jusqu'à l'obtention du résultat recherché. Dans le but de faciliter la frappe, le flan pouvait être préalablement façonné en forme lenticulaire, fortement chauffé ou même moulé.
(4) En ce qui concerne la médaille, le procédé de la fonte dit « au sable », ou de ses plus récents dérivés, est le plus usité. Le moule destiné à contenir le métal en fusion est constitué de l'assemblage de deux empreintes obtenues en tassant fortement sur les modèles, le plus généralement en plâtre, un sable extrêmement fin qui prendra finalement la consistance du grès. Cette technique de fabrication implique en principe des « tirages » limités.
(5) Longtemps actionné à bras d'hommes, ce premier type de balancier ne fera place que vers 1840 au balancier à friction recevant son mouvement d'un moteur mû à la vapeur, puis à l'électricité. Il existe encore des exemplaires de ces derniers en service à la Monnaie de Paris. La presse à vis à moteur électropneumatique et la presse hydraulique à vis en sont les plus récents développements. A la différence de celle d'une monnaie qui doit s'obtenir d'un seul coup de presse, la frappe d'une médaille nécessite plusieurs « passes » en raison de l'importance des reliefs. Entre deux passes successives il faut recuire le métal écroui par la frappe. La médaille terminée est en général patinée. Elle peut être aussi dorée ou argentée par électrolyse.
(6) On appelle virole la bague destinée à enserrer le flan métallique au moment de la frappe et donner à la pièce ou à la médaille une forme parfaitement ronde. Lorsqu'elle est « simple », c'est-à-dire d'une seule pièce, elle ne permet d'obtenir qu'une tranche lisse ou cannelée de rainures transversales. Dite « brisée », aujourd'hui à fonctionnement automatique, elle est composée de deux et le plus souvent de trois segments gravés maintenus dans une couronne.
(7) Après que l'artiste a réalisé son modèle en plâtre dans une dimension idéalement de trois fois supérieure à celle de la médaille à frapper, on en tire des répliques, soit métalliques par galvanoplastie ou par fonte de bronze dit « de cloche », soit, aujourd'hui, en résine dure, qui serviront à obtenir, selon que le sujet se présente en relief ou en creux, soit un poinçon, soit directement la matrice de frappe. En présence d'un poinçon, celui-ci devra être, après durcissement par traitement thermique, enfoncé dans un bloc d'acier qui deviendra ainsi la matrice de frappe nécessaire à toute fabrication.
(8) On ne saurait omettre de mentionner particulièrement à cet égard l'action exceptionnelle de Pierre Dehaye, Directeur des Monnaies et Médailles, de 1963 à 1984, fondateur du Club Français de la Médaille, élu Membre de l' Académie des Beaux-Arts en 1975.

L'art et les techniques de la médaille Par M.Henri Dropsy membre de l'institut.

Dans l'art de la médaille frappée, on peut considérer deux procédés différents: telle médaille du XVII è siècle, par exemple, fait songer au burin par la précision de sa ciselure, tandis que telle médaille datant d'une cinquantaine d'années, par la souplesse de son modèle, évoque l'ébauchoir du sculpteur.
Ces deux outils conditionnent deux techniques.
Pour passer de l'ancienne à la moderne, il a fallu qu'une machine, dérivant du pantographe, fût peu à peu mise au point. Un tel perfectionnement dans l'outillage demanda plus d'un siècle.

En 1729, La Condamine présente à l'Académie des Sciences une machine pour exécuter toutes sortes de contours réguliers et irréguliers, et une machine pour tailler diverses variétés de rosettes (1). En 1749, P. Plumier, dans le livre de l'Art du Tourneur, signale cette invention « ayant pour objet de réduire un profil » et semble ne pas connaître encore le tour à portrait. Au plein de la tourmente révolutionnaire, Bergeron, dans son Manuel du Tourneur, après avoir cité le passage de Plumier, constate que les deux machines soumises par La Condamine à l'Académie des Sciences « ont vraisemblablement conduit à l'invention du tour à portrait ». Les premières tentatives, longtemps imparfaites, restèrent sans utilité pratique. Après diverses modifications apportées à ces premiers essais, Bulot fils a changé entièrement la construction de la machine, la simplifiant pour en obtenir des résultats plus précis et plus sûrs. Sauf erreur d'attribution, la machine de Bulot fils n'est pas parvenue jusqu'à nous; mais au Musée du Conservatoire des Arts et Métiers, figure un tour à réduire et à graver d'Ambroise Wohlgemuth qui porte la date de 1820 et présente déjà les caractères de ceux que nous employons: deux plateaux situés sur le même plan entraînent dans un même mouvement circulaire le modèle et la réduction. Plus tard, le 22 mars 1837, Achille Colas prend un brevet « pour les appareils servant à la copie, ou à la reproduction mécanique, de toute espèce de sculpture, en quelque matière que ce soit ». Il construisit d'abord, en 1847, un tour à réduire les médailles semblable à celui de Bulot fils, auquel il apporta quelques perfectionnements.

(1) Molettes des éperons

Vers 1880, le couteau qui gravait l'acier, et qui ne pouvait exécuter le travail en une seule fois, est remplacé par la fraise, qui, par son mouvement rotatif, assure une exécution plus exacte et plus rapide. La machine à réduire est désormais complète, et l'usage va s'en répandre de plus en plus. Examinons maintenant l'influence du tour à réduire dans l'évolution de la médaille à la fin du XIXe siècle. La possibilité que les médailleurs ont eue d'exécuter leurs œuvres en matières plastiques à une plus grande échelle, au lieu de les graver directement dans l'acier à la dimension définitive, leur a facilité un rendu plus libre, et mis des sculpteurs à même de produire des médailles frappées, ce qu'ils n'eussent pu faire sans le tour. Il en est même qui ont laissé leurs maquettes à l'état d'esquisses.
Ces avantages, il est vrai, ne vont pas sans comporter quelques inconvénients, car la gravure directe sur le métal l'emporte par la contrainte d'une précision plus serrée et d'une exécution plus incisive. Témoin, non seulement les admirables médailles du XVII e siècle, ,mais aussi les monnaies si décoratives du moyen âge, d'un style si charmant, toutes gravées en creux dans le métal. A côté de l'art de la gravure qui a trait aux médailles frappées, fut créé, il y a cinq cents ans, par le génial Pisanello, un nouveau moyen d'expression: la médaille fondue. « Depuis Les Syracusains, nous dit Elie Faure, on n'avait pas revu cette fermeté, ce modèle savoureux et nuancé, cette pénétrante et vigoureuse élégance d'expression. »
Pourtant, cette médaille diffère très sensiblement des monnaies gravées à Syracuse. Elle procède du modelage au moyen de la cire ou du plâtre, qui lui donne une physionomie nouvelle. Le tour à réduire a permis le mélange des deux techniques jusqu'alors séparées: le modelage et la gravure; et il exécute automatiquement les poinçons et les coins que burinait l'ouvrier. La médaille qu'il produit n'a pas le caractère d'une médaille gravée, mais conserve celui de son origine, à savoir du modelage.

C'est grâce à la machine que le sculpteur-médailleur Alexandre Charpentier, dont les nus féminins sont parfois exprimés avec une brutale franchise, a produit entre 1885 et 1900 des plaquettes-portraits qui comptent parmi les meilleures de cette époque. Il les modelait à une dimension moyenne, environ deux fois plus grandes que les pièces définitives. Il s'ensuit qu'après la réduction, l'œuvre conserve presque entièrement sa tenue primitive. - Quel original au surplus que ce Charpentier! Je ne me tiens pas de rappeler, en passant, combien il avait l'esprit indépendant: un des derniers représentants de la « Bohème de Murger ». Il poussa le non-conformisme jusqu'à vivre quelque temps sur une péniche. Il prétendait que la meilleure façon de donner aux médailles une belle patine, était de leur faire subir de constantes manipulations. Aussi en avait-il ses poches remplies. Mais revenons à notre propos. Un autre exemple d'une œuvre qui n'aurait pas vu le jour sans le tour à réduire, est celui du portrait équestre de Ratier exécuté en 1884 par Frémiet. « Une de ses meilleures œuvres et une des plus estimables médailles de l'École contemporaine » selon Henry Nocq. Et Henry Nocq était expert en-la matière, étant médailleur et en même temps. orfèvre, à la ressemblance de ses prédécesseurs du XVIII è siècle. De plus, érudit, hôte assidu des bibliothèques, il a écrit plusieurs ouvrages très sérieux, sur les poinçons dans l'orfèvrerie, sur Pisanello, sur les Duvivier, etc. ; ses médailles destinées à la frappe étaient réduites, celles qu'il destinait à la fonte conservaient leur format primitif. Furent-elles fondues par le fameux Antonin Liard, mort à 81 ans, en 1940 et dont les fontes resteront célèbres ? Il est probable. Pour s'être livré à des recherches incessantes, cet excellent artisan connaissait tous les secrets de son dur métier. Il ne laissait sortir de son atelier que des .épreuves parfaites. Il lui est arrivé, dans son souci de la perfection, de retoucher avec la molette du ciseleur tels défauts à peine perceptibles.
Tasset, dans le même temps, a sur ses tours exécuté et mis au point les œuvres de nombreux médailleurs et sculpteurs. Il avait tenté d'étendre le procédé de la réduction à la fabrication des clichés servant à l'impression des timbres-poste. Ces timbres avaient-ils l'ampleur et la fermeté des vignettes gravées au burin? Nous n'avons pas eu les essais sous les yeux, mais la taille directe, encore une fois, est à notre avis préférable à tout ce que l'on obtient par la reproduction chimique ou mécanique. Noterons-nous à ce propos, qu'en France, on n'encourage pas suffisamment les arts gravés ? Monnaies, timbres-poste, billets de banque, qui circulent sans cesse sous les yeux et dans les mains du public, devraient, issus de la gravure, servir à développer le goût, et porter hors de nos frontières les témoignages du génie français. A y regarder de près, la machine a souvent besoin de la gravure. Tasset et son successeur Hozanna ont réduit mécaniquement, entre beaucoup d'autres, les œuvres de Chaplain, et il n'est pas excessif de noter que l'auteur eût sagement fait de procéder lui-même à la retouche des poinçons, au lieu d'en abandonner le soin à ses réducteurs, non pas qu'ils ne fussent de bons ouvriers graveurs, mais parce qu'ils trahissaient parfois les intentions de l'auteur.

La vérité est que la retouche doit toujours être faite par l'artiste qui a créé; d'où la nécessité pour les médailleurs, même quand ils emploient la machine, de connaître parfaite- ment la technique de la gravure sur acier. Contre notre conviction, qu'on n'excipe pas du souvenir de Ponscarme. Ce grand artiste, encore qu'il ait modelé, en se bornant à l'usage du tour à réduire, des œuvres remarquables, pleines de sensibilité, était capable, s'il le jugeait utile, de reprendre et de parachever ses pièces au burin. Il n'avait, en effet, pas moins de sincérité dans son œuvre que dans sa vie. D'une franchise peu commune, et aussi peu adroit à soigner sa réputation qu'à soutenir ses élèves dans les jurys d'examens. Conséquemment, ils avaient écrit sur la porte de l'atelier qu'il dirigeait: « Ce n'est pas ici le chemin qui mène à Rome. » Si l'on fait réflexion que. cette boutade accueillait les arrivants à l'entrée d'un local où les habitués se préparaient au concours du Prix de Rome, on lui trouve quelque mordant. Ajoutons que Ponscarme était en pleine possession de ses moyens, alors que régnait l'impressionnisme.

Cette forme d'art qui l'a finalement séduit, ne l'a pas empêché, au demeurant, de former nombre de médailleurs qui marquèrent d'autres tendances. Parmi eux, à tout seigneur tout honneur, figure Roty que sa monnaie à l'image de la semeuse a rendu célèbre. Renouant avec le XVlIIe siècle, il s'inspira vraisemblable- ment des charmantes illustrations gravées en taille-douce par les Moreau, Boucher, Gravelot, Eisen, Marillier, et aussi des médailles de Jean Duvivier qui, après Mauger, eut le souci de la vérité pittoresque, et osa la perspective vraie et les valeurs du tableau. Roty eut une influence prépondérante sur ses confrères de la fin du XIX è siècle et du commencement du XXe. On cherche l'atmosphère, les lointains se perdent dans la brume, les ciels deviennent nuageux, le sujet se lie avec le fond qui va peu à peu se meubler. La médaille va devenir un petit tableau, un intermédiaire entre la sculpture et la peinture, et si on se cantonne dans de minces épaisseurs, c'est que la machine n'est ni assez parfaite, ni assez puissante pour réduire de fortes saillies. Le groupe qui subissait l'ascendant de Roty délaissa la technique de la gravure sur acier, au rebours des médailleurs du commencement du XIX è siècle, qui, trop acharnés aux prouesses du graveur, finissaient par oublier l'expression artistique. Incontestablement, il a toujours été nécessaire que l'artiste possédât son métier. Il faut aussi, de nos jours, qu'il soit le maître de la machine. Elle est à sa disposition, peut le servir bien ou mal suivant qu'il en connaît ou en ignore les possibilités. Existe t-il une différence trop grande entre la dimension de la maquette et celle de la réduction ? Il en résulte un rapetissement exagéré des détails, qui s'amenuisent et ne sont plus à l'échelle de l’œil et de la main. Ou encore, la machine est-elle mal conduite, la touche qui parcourt le grand modèle et la fraise qui grave le poinçon n'ont-elles pas exactement le même angle et les mêmes proportions? Il s'ensuit un amaigrissement ou un empâtement des formes. Il reste, en définitive, que le tour à réduction a ouvert une ère nouvelle de la médaille, mais que la gravure au burin doit conserver toujours une place prépondérante, dans les techniques d~ la médaille moderne. Notre génération qui a vu le début, et considère maintenant l'épanouissement de la nouvelle technique née avec le machinisme, a connu dans sa jeunesse les vielles traditions du métier . Ces deux techniques ont vécu un moment côte à côte, puis peu à peu, la nouvelle s'est substituée presque complètement à l'ancienne. C'est ainsi que dans l'atelier de mon père, J.-B. Émile Dropsy, on procédait encore, pour certains travaux, comme avaient procédé les graveurs du XVIII ème siècle. Une étude très poussée était gravée en creux.

De cette étude trempée un poinçon était relevé. On obtenait ainsi le sujet en relief en acier. Ce relief retouché, ciselé et trempé, était enfoncé dans un bloc. Le sujet se présentait de nouveau en creux en acier. On limait le fond à la profondeur désirée, l'inscription était exécutée à l'aide de poinçons de lettres frappés, c'est-à-dire enfoncés, les uns à côté des autres. Le creux ainsi terminé et trempé constituait le coin. Jusque vers 1870, où les balanciers deviennent assez puissants pour permettre l'enfonçage des médailles entières y compris le fond et les lettres, on continue, même s'il s'agit d'un poinçon réduit, à n'enfoncer que le sujet, puis le fond est limé et les lettres sont frappées. Tout ce travail long et minutieux exige de l'ouvrier des qualités d'adresse, de dessin et une infaillible sûreté de vue. La plupart du temps l’œil à la loupe, l'échoppe nerveusement serrée dans la main droite, les graveurs ont besoin de toute leur attention et une lumière abondante doit se répandre sur leur ouvrage: aussi bien, pour en faire la remarque en passant, nichent-ils aux étages supérieurs des immeubles. Ils recherchent de préférence, dans le quartier du Marais, ces belles maisons du grand siècle, encore nombreuses entre la rue Beaubourg et le boulevard Beaumarchais. La bourgeoisie les avait délaissées et à sa place besognent d'industrieux artisans. Tout contre la fenêtre s'appuie l'établi de forme très découpée, où chaque ouvrier, dans une alvéole, a devant lui un boulet de fonte qui fixe l'acier à graver parmi un encombre- ment d'outils de toutes sortes, échoppes, ciselets, poinçons, pierre à huile, porte-loupe. Le soir, une lampe placée au milieu, s'entoure de globes remplis d'eau qui en concentrent la clarté.

Dans l'atelier de J.-B. Émile Dropsy, au fond, face aux fenêtres, ronronnait le tour à réduire. La force électrique n'était pas encore distribuée dans les immeubles; un homme de peine, toute la journée, appuyant sur la pédale, mettait en mouvement engrenages et courroies. La réduction achevée, il fallait l'enfoncer, afin d'obtenir le coin qui constitue l'outillage de frappe. C'est chez Villemin, rue des Coutures-Saint-Gervais, dans le Marais, que les graveurs allaient effectuer ce travail. Il forgeait les blocs d'acier, les trempait, les recuisait et louait les puissants balanciers dont ses clients avaient besoin pour le relevage et l'enfonçage. Ils trouvaient d'autres collaborateurs, à commencer par le réducteur Janvier de la rue Montmorency, qui, un des premiers, adapta la fraise au tour à réduire, et Combet de la rue du Temple, habile tourneur exécutant les travaux délicats, notamment les filets qui bordent parfois les médailles. Cet intarissable bavard, avec sa barbe blanche et son interminable blouse noire, était le type de ces artisans consciencieux qui adoraient leur métier, toujours à l'affût des trucs qu'ils pouvaient ignorer. M'excusera-t-on de regretter que ce goût du travail soigné se soit de nos jours raréfié ?

La faute en est peut-être à la machine qui assume l'effort; il y a lieu de ne pas trop oublier que l'homme ne se réalise pleinement que dans ce qu'il conquiert à ce prix. Faisons tout, pour que cette volonté de perfection se répande chez les jeunes gens. A l'École des Beaux-Arts, où se prépare la génération de demain, nous nous efforçons personnellement d'inculquer aux jeunes médailleurs, avec la volonté de s'approcher à chaque production autant qu'il est en eux de la conception idéale qu'ils en ont eue, celle d'y employer toutes les ressources de leur métier et de leur talent. Ils doivent être suffisamment instruits pour aborder les incessants problèmes qu'ils auront à résoudre, et qui varient à l'infini. Pour y réussir, il faut une connaissance approfondie des principes qui dirigent l'exécution des médailles. D'abord, il est indispensable d'envisager la composition et l'expression, qualités essentielles, nécessaires à l'intelligence de l’œuvre, et à l'émotion qu'elle doit susciter chez l'amateur qui la contemple.Et surtout, que notre jeunesse ne se méprenne ni sur les difficultés, ni sur la noblesse spécifique de l'art où elle s'exerce.

Un de nos anciens Secrétaires perpétuels, Quatremère de Quincy, les a mises en pleine lumière ici même le 6 octobre 1821, en lisant la notice consacrée par lui à Benjamin Duvivier : 

« L'art de la composition des médailles consiste à réduire aux moindres termes chaque sujet, chaque action, chaque image, de manière à faire voir, non la partie insignifiante d'un tout, mais le tout clairement signifié par ce qui n'en est que la partie. L'erreur de certaines écoles modernes en ce genre, a été de croire que le type d'une médaille devait ressembler à une peinture réduite en miniature... Pour grand que soit le champ d'une médaille, c'est toujours un des plus petits espaces qu'une composition puisse occuper; et, par opposition, ce sont presque toujours les sujets les plus étendus et les plus nombreux qu'il faut y tracer. De là pour l'artiste l'obligation de saisir, dans chaque sujet, le motif ou le sentiment qui en est le point central ou capital. De là ce système d'abréviation savante qui ramène chaque composition à la plus simple expression, pour le sens moral et physique; mais de là aussi l'obligation de donner aux personnages, aux figures, la valeur de cette langue idéale dont ils deviennent les signes; et cette valeur consiste dans la noblesse des formes, dans la grandeur du style, dans l'énergie du caractère. » On ne saurait mieux dire, et le médailleur, vraiment rompu à son métier, qui réglerait sa pensée et sa main sur cette conception admirable de son art, accroîtrait grandement ses chances de bien faire.

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Les artistes et les œuvres par Henri Classens (1930)

Les médailleurs français contemporains peuvent être réunis, selon leurs tendances, en cinq groupes. Ces groupes ne correspondent pas à des vérités absolues, en effet, certains artistes appartiennent aussi bien à l'un qu'à l'autre; mais, outre qu'ils se justifient en grande partie, ils permettent de présenter avec plus de clarté un tableau de la médaille contemporaine en France. Nous étudierons donc successivement : 

  • l'école officielle
  • les paysages et les auteurs de scènes de genre
  • l'école de Ponscarme
  • les décorateurs et les constructeurs les indépendants

 

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