La gravure et la médaille (1987)

Posté par: Médailles Canale Dans: Biographies

L'apparition, vers le VIII siècle avant J .-C., de la glyptique (1), et plus précisément des cachets et sceaux-cylindres mésopotamiens gravés en intaille au touret (2), ouvre la voie à la gravure monétaire lorsque le développement des échanges commerciaux appellera et imposera l'usage de la monnaie.

D'abord en Asie Mineure, puis très rapidement essaimé durant le VIe siècle avant J.-C. sur tout le pourtour du bassin méditerranéen qui composait le monde hellénistique, le monnayage grec atteignit aux plus admirables productions de l'Antiquité. Par essence instrument d'échange, l'espèce monétaire devint ainsi, dès sa naissance, un objet d'art.

Les pièces étaient obtenues par le procédé de la frappe au marteau (3) mais nous ne savons malheureusement que peu de choses des moyens techniques, forcément rudimentaires, dont disposaient ces artistes pour la confection des coins. On peut toutefois imaginer que, outre le touret évoqué plus haut, des outils incisifs proches de nos burins étaient déjà utilisés.

Il reste que nous devons au génie grec les prémices, demeurées insurpassées, de l'art numismatique. Cependant, la médaille demeura inconnue de l'Antiquité et du Moyen-Age.

Il faudra, en effet, attendre le XVe siècle pour qu'un artiste toscan singulièrement inspiré, du nom de Vittorio Pisano, dit Pisanello, nullement graveur, ni même sculpteur, mais jusque-là peintre et surtout fresquiste, crée une oeuvre étonnante sous forme de bas-reliefs circulaires de petite dimension, d'abord modelés probablement en cire, puis fondus (4) en bronze.

D'une facture aussi hardie que savante et riches d'une originale spiritualité, ces chefs-d’œuvre, fruits achevés de l'humanisme de la Renaissance, recèlent d'emblée la spécificité même de l'art de la médaille, à savoir la complémentarité concertante d'une face et d'un revers.
A l'instar des oeuvres de Pisanello, les médaillons fondus, puis ciselés, de Germain Pilon et de Guillaume Dupré comptent, par la qualité des portraits et leur magnificence, parmi les plus prestigieuses merveilles de la Renaissance française et beaucoup plus près de nous, fameux sont les médaillons du talentueux David d'Angers et les spirituels portraits-esquisses d'Alexandre Charpentier .

Néanmoins, contrairement à l'Italie par exemple, les médailles fondues demeureront des exceptions en France où dominera constamment la médaille frappée.

En ce qui concerne l'histoire des techniques numismatiques, on distingue trois grandes périodes :

- l'ère de la frappe au marteau, qui s'étend des origines jusqu'au X VIe siècle ;
- l'ère de la frappe au balancier, du XVI è au XIX è siècle ;
- l'ère de la presse monétaire, enfin, caractérisée, depuis 1830 environ jusqu'à nos jours, par une productivité sans cesse accrue.

Soucieux de réglementer et d'améliorer les fabrications, Henri II suscita la mécanisation de la frappe en ordonnant, en 1551, l'importation, depuis Augsbourg en Allemagne, et l'installation dans les ateliers royaux d'un ensemble de matériels nouveaux essentiellement composé de laminoirs destinés à donner aux lames métalliques une épaisseur constante, de coupoirs pour découper les flans et surtout d'un balancier (5), dont le principe réside dans la puissance de percussion d'une vis.

Rapidement mis en oeuvre, ces outillages permirent la frappe de monnaies et de médailles parfaitement rondes et en tous points identiques.
Conjointement, il fut bientôt possible d'insculper en creux ou d'obtenir en relief une inscription sur la tranche, grâce à l'invention de la virole brisée (6).
Sans doute devons-nous essentiellement à la prédominance, en France, de la médaille frappée, nous l'avons dit plus haut, la survivance de la pratique de la taille directe jusqu'à nos jours. Cependant, l'avènement, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, d'un procédé de gravure mécanique intervenant au niveau de la création des modèles et des outillages originaux ouvrit une nouvelle ère de la numismatique, celle de la médaille modelée pour la frappe. Conçue selon un principe analogue à celui du pantographe, cette machine appelée « tour à réduire » (7) permet, en effet, à des plasticiens, en premier lieu à des sculpteurs, d'accéder par l'intermédiaire de maquettes à la réalisation de médailles et de modèles monétaires, jusque là apanage des seuls graveurs sur acier.

Généralement, la gravure est ensuite perfectionnée par l'utilisation des échoppes et des ciselets, voire de rifloirs, de grattoirs et de pierres à polir. Mais l'état d'achèvement de la gravure d'une médaille est affaire de goût et d'esthétique de la part du graveur. De toute manière, c'est la sûreté de métier de celui-ci qui, par les effets combinés de différents outils, va assurer à son travail, dans la variété des tailles, l'aisance et la fraîcheur de l'exécution.
Dans le cas d'une gravure en relief, le graveur travaille à l'endroit.

Le poinçon, durci après traitement thermique (trempe), peut être enfoncé dans un autre bloc d'acier ; on obtient ainsi la matrice nécessaire pour frapper une médaille ou une monnaie.

Il faut noter que, grâce aux techniques et l'enfonçage d'un poinçon dans un coin ou, au contraire, du relevage d'un poinçon d'après une matrice, le graveur peut, s'il le juge nécessaire pour mener à bien son entreprise, travailler ainsi successivement en creux ou en relief autant de fois qu 'il le voudra.
En un sens entreprise commerciale, l' Administration des Monnaies et Médailles n'en tient pas moins à l'honneur de promouvoir la créativité artistique par une action de mécénat que nul autre que l'Etat ne saurait plus exercer en son lieu dans le contexte économique contemporain. Il n'est que de consulter aujourd'hui ses catalogues où sont répertoriés les noms et les oeuvres de plus de cinq cents artistes graveurs et médailleurs et de considérer les nombreuses expositions présentées dans ses murs, l'une des dernières et non des moindres ayant été consacrée aux « Métiers d'art français contemporains », sous l'égide de la S.E.M.A., pour constater de quelle éclatante façon la Monnaie s'acquitta en notre temps de ce rôle sous l'impulsion de Directions (8) successives, ouvertes à tous les courants esthétiques comme à toutes les individualités et animées d'une même volonté visant à faire de la médaille actuelle un art bien vivant .


Emile ROUSSEAU. Graveur Général des Monnaies.


(1) Anciennement appliqué à l'art de la gravure en général, ce mot ne s'entend plus aujourd'hui qu'à propos de la gravure sur pierres fines.
(2) Petit tour dont le mouvement de rotation provient d'une pédale actionnant un outil nommé bouterolle, constitué d'une tige de fer ou de cuivre présentant à son extrémité un renflement capable, enduit d'huile mêlée de poudre de diamant ou d'émeri, d'user par frottement la matière à graver manipulée par l'artiste.
(3) Le flan de métal destiné à recevoir l'empreinte des gravures était placé entre les deux coins gravés en creux, nornmés pile et trousseau. La pile était fixée dans un billot de bois et le trousseau, mobile et fermement tenu d'une main par le monnayeur était frappé de l'autre, de coups de marteau jusqu'à l'obtention du résultat recherché.
Dans le but de faciliter la frappe, le flan pouvait être préalablement façonné en forme lenticulaire, fortement chauffé ou même moulé.
(4) En ce qui concerne la médaille, le procédé de la fonte dit « au sable », ou de ses plus récents dérivés, est le plus usité. Le moule destiné à contenir le métal en fusion est constitué de l'assemblage de deux empreintes obtenues en tassant fortement sur les modèles, le plus généralement en plâtre, un sable extrêmement fin qui prendra finalement la consistance du grès. Cette technique de fabrication implique en principe des « tirages » limités.
(5) Longtemps actionné à bras d'hommes, ce premier type de balancier ne fera place que vers 1840 au balancier à friction recevant son mouvement d'un moteur mû à la vapeur, puis à l'électricité. Il existe encore des exemplaires de ces derniers en service à la Monnaie de Paris. La presse à vis à moteur électropneumatique et la presse hydraulique à vis en sont les plus récents développements. A la différence de celle d'une monnaie qui doit s'obtenir d'un seul coup de presse, la frappe d'une médaille nécessite plusieurs « passes » en raison de l'importance des reliefs. Entre deux passes successives il faut recuire le métal écroui par la frappe.
La médaille terminée est en général patinée. Elle peut être aussi dorée ou argentée par électrolyse.
(6} On appelle virole la bague destinée à enserrer le flan métallique au moment de la frappe et donner à la pièce ou à la médaille une forme parfaitement ronde. Lorsqu'elle est « simple », c'est-à-dire d'une seule pièce, elle ne permet d'obtenir qu'une tranche lisse ou cannelée de rainures transversales. Dite « brisée », aujourd'hui à fonctionnement automatique, elle est composée de deux et le plus souvent de trois segments gravés maintenus dans une couronne.
(7) Après que l'artiste a réalisé son modèle en plâtre dans une dimension idéalement de trois fois supérieure à celle de la médaille à frapper, on en tire des répliques, soit métalliques par galvanoplastie ou par fonte de bronze dit « de cloche », soit, aujourd'hui, en résine dure, qui serviront à obtenir, selon que le sujet se présente en relief ou en creux, soit un poinçon, soit directement la matrice de frappe.
, En présence d'un poinçon, celui-ci devra être, après durcissement par traitement thermique, enfoncé dans un bloc d'acier qui deviendra ainsi la matrice de frappe nécessaire à toute fabrication.
(8) On ne saurait omettre de mentionner particulièrement à cet égard l'action exceptionnelle de Pierre Dehaye, Directeur des Monnaies et Médailles, de 1963 à 1984, fondateur du Club Français de la Médaille, élu Membre de l' Académie des Beaux-Arts en 1975.

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