L'art et les techniques de la médaille par Henri DROPSY

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Par Henri Dropsy, membre de l'Institut.
Dans l'art de la médaille frappée, on peut considérer deux procédés différents: telle médaille du XVII è siècle, par exemple, fait songer au burin par la précision de sa ciselure, tandis que telle médaille datant d'une cinquantaine d'années, par la souplesse de son modèle, évoque l'ébauchoir du sculpteur. Ces deux outils conditionnent deux techniques.

Le burin & l'ébauchoir : deux outils pour deux techniques

Pour passer de l'ancienne à la moderne, il a fallu qu'une machine, dérivant du pantographe, fût peu à peu mise au point. Un tel perfectionnement dans l'outillage demanda plus d'un siècle.

En 1729, La Condamine présente à l'Académie des Sciences une machine pour exécuter toutes sortes de contours réguliers et irréguliers, et une machine pour tailler diverses variétés de rosettes (1). En 1749, P. Plumier, dans le livre de l'Art du Tourneur, signale cette invention « ayant pour objet de réduire un profil » et semble ne pas connaître encore le tour à portrait. Au plein de la tourmente révolutionnaire, Bergeron, dans son Manuel du Tourneur, après avoir cité le passage de Plumier, constate que les deux machines soumises par La Condamine à l'Académie des Sciences « ont vraisemblablement conduit à l'invention du tour à portrait ».

Les premières tentatives, longtemps imparfaites, restèrent sans utilité pratique. Après diverses modifications apportées à ces premiers essais, Bulot fils a changé entièrement la construction de la machine, la simplifiant pour en obtenir des résultats plus précis et plus sûrs.
Sauf erreur d'attribution, la machine de Bulot fils n'est pas parvenue jusqu'à nous; mais au Musée du Conservatoire des Arts et Métiers, figure un tour à réduire et à graver d'Ambroise Wohlgemuth qui porte la date de 1820 et présente déjà les caractères de ceux que nous employons: deux plateaux situés sur le même plan entraînent dans un même mouvement circulaire le modèle et la réduction.

Plus tard, le 22 mars 1837, Achille Colas prend un brevet « pour les appareils servant à la copie, ou à la reproduction mécanique, de toute espèce de sculpture, en quelque matière que ce soit ». Il construisit d'abord, en 1847, un tour à réduire les médailles semblable à celui de Bulot fils, auquel il apporta quelques perfectionnements.

(1) Molettes des éperons

Vers 1880, le couteau qui gravait l'acier, et qui ne pouvait exécuter le travail en une seule fois, est remplacé par la fraise, qui, par son mouvement rotatif, assure une exécution plus exacte et plus rapide.

La machine à réduire est désormais complète, et l'usage va s'en répandre de plus en plus.
Examinons maintenant l'influence du tour à réduire dans l'évolution de la médaille à la fin du XIX e siècle.

La possibilité que les médailleurs ont eue d'exécuter leurs œuvres en matières plastiques à une plus grande échelle, au lieu de les graver directement dans l'acier à la dimension définitive, leur a facilité un rendu plus libre, et mis des sculpteurs à même de produire des médailles frappées, ce qu'ils u'eussent pu faire sans le tour.

Il en est même qui ont laissé leurs maquettes à l'état d'esquisses. Ces avantages, il est vrai, ne vont pas sans .comporter quelques inconvénients, car la gravure directe sur le métal l'emporte par la contrainte d'une précision plus serrée et d'une exécution plus incisive. Témoin, non seulement les admirables médailles du XVII e siècle, ,mais aussi les monnaies si décoratives du moyen âge, d'un style si charmant, toutes gravées en creux dans le métal.
A côté de l'art de la gravure qui a trait aux médailles frappées, fut créé, il y a cinq cents ans, par le génial Pisanello, un nouveau moyen d'expression: la médaille fondue. « Depuis Les Syracusains, nous dit Elie Faure, on n'avait pas revu cette fermeté, ce modèle savoureux et nuancé, cette pénétrante et vigoureuse élégance d'expression. »

Pourtant, cette médaille diffère très sensiblement des monnaies gravées à Syracuse.
Elle procède du modelage au moyen de la cire ou du plâtre, qui lui donne une physionomie nouvelle.
Le tour à réduire a permis le mélange des deux techniques jusqu'alors séparées: le modelage et la gravure; et il exécute automatiquement les poinçons et les coins que burinait l'ouvrier.

La médaille qu'il produit n'a pas le caractère d'une médaille gravée, mais conserve celui de son origine, à savoir du modelage.
C'est grâce à la machine que le sculpteur-médailleur Alexandre Charpentier, dont les nus féminins sont parfois exprimés avec une brutale franchise, a produit entre 1885 et 1900 des plaquettes-portraits qui comptent parmi les meilleures de cette époque. ,
Il les modelait à une dimension moyenne, environ deux fois plus grandes que les pièces définitives. Il s'ensuit qu'après la réduction, l'œuvre conserve presque entièrement sa tenue primitive. 

Quel original au surplus que ce Charpentier! Je ne me tiens pas de rappeler, en passant, combien il avait l'esprit indépendant: un des derniers représentants de la « Bohème de Murger ». Il poussa le non-conformisme jusqu'à vivre quelque temps sur une péniche. Il prétendait que la meilleure façon de donner aux médailles une belle patine, était de leur faire subir de constantes manipulations. Aussi en avait-il ses poches remplies.
Mais revenons à notre propos. Un autre exemple d'une œuvre qui n'aurait pas vu le jour sans le tour à réduire, est celui du portrait équestre de Ratier exécuté en 1884 par Frémiet. « Une de ses meilleures œuvres et une des plus estimables médailles de l'École contemporaine » selon Henry Nocq.
Et Henry Nocq était expert en-la matière, étant médailleur et en même temps. orfèvre, à la ressemblance de ses prédécesseurs du XVIII è siècle. De plus, érudit, hôte assidu des bibliothèques, il a écrit plusieurs ouvrages très sérieux, sur les poinçons dans l'orfèvrerie, sur Pisanello, sur les Duvivier, etc. ; ses médailles destinées à la frappe étaient réduites, celles qu'il destinait à la fonte conservaient leur format primitif.

Furent-elles fondues par le fameux Antonin Liard, mort à 81 ans, en 1940 et dont les fontes resteront célèbres ?
Il est probable. Pour s'être livré à des recherches incessantes, cet excellent artisan connaissait tous les secrets de son dur métier. Il ne laissait sortir de son atelier que des .épreuves parfaites. Il lui est arrivé, dans son souci de la perfection, de retoucher avec la molette du ciseleur tels défauts à peine perceptibles.

Tasset, dans le même temps, a sur ses tours exécuté et mis au point les oeuvres de nombreux médailleurs et sculpteurs. Il avait tenté d'étendre le procédé de la réduction à la fabrication des clichés servant à l'impression des timbres-poste.
Ces timbres avaient-ils l'ampleur et la fermeté des vignettes gravées au burin?
Nous n'avons pas eu les essais sous les yeux, mais la taille directe, encore une fois, est à notre avis préférable à tout ce que l'on obtient par la reproduction chimique ou mécanique.

Noterons-nous à ce propos, qu'en France, on n'encourage pas suffisamment les arts gravés ? Monnaies, timbres-poste, billets de banque, qui circulent sans cesse sous les yeux et dans les mains du public, devraient, issus de la gravure, servir à développer le goût, et porter hors de nos frontières les témoignages du génie français.

A y regarder de près, la machine a souvent besoin de la gravure.
Tasset et son successeur Hozanna ont réduit mécaniquement, entre beaucoup d'autres, les œuvres de Chaplain, et il n'est pas excessif de noter que l'auteur eût sagement fait de procéder lui-même à la retouche des poinçons, au lieu d'en abandonner le soin à ses réducteurs, non pas qu'ils ne fussent de bons ouvriers graveurs, mais parce qu'ils trahissaient parfois les intentions de l'auteur.
La vérité est que la retouche doit toujours être faite par l'artiste qui a créé; d'où la nécessité pour les médailleurs, même quand ils emploient la machine, de connaître parfaite- ment la technique de la gravure sur acier.
Contre notre conviction, qu'on n'excipe pas du souvenir de Ponscarme. Ce grand artiste, encore qu'il ait modelé, en se bornant à l'usage du tour à réduire, des œuvres remarquables, pleines de sensibilité, était capable, s'il le jugeait utile, de reprendre et de parachever ses pièces au burin.
Il n'avait, en effet, pas moins de sincérité dans son œuvre que dans sa vie. D'une franchise peu commune, et aussi peu adroit à soigner sa réputation qu'à soutenir ses élèves dans les jurys d'examens. Conséquemment, ils avaient écrit sur la porte de l'atelier qu'il dirigeait: « Ce n'est pas ici le chemin qui mène à Rome. »

Si l'on fait réflexion que. cette boutade accueillait les arrivants à l'entrée d'un local où les habitués se préparaient au concours du Prix de Rome, on lui trouve quelque mordant.
Ajoutons que Ponscarme était en pleine possession de ses moyens, alors que régnait l'impressionnisme. Cette forme d'art qui l'a finalement séduit, ne l'a pas empêché, au demeurant, de former nombre de médailleurs qui marquèrent d'autres tendances.
Parmi eux, à tout seigneur tout honneur, figure Roty que sa monnaie à l'image de la semeuse a rendu célèbre.
Renouant avec le XVlIIe siècle, il s'inspira vraisemblable- ment des charmantes illustrations gravées en taille-douce par les Moreau, Boucher, Gravelot, Eisen, Marillier, et aussi des médailles de Jean Duvivier qui, après Mauger, eut le souci de la vérité pittoresque, et osa la perspective vraie et les valeurs du tableau.

Roty eut une influence prépondérante sur ses confrères de la fin du XIX è siècle et du commencement du X Xe.
On cherche l'atmosphère, les lointains se perdent dans la brume, les ciels deviennent nuageux, le sujet se lie avec le fond qui va peu à peu se meubler. La médaille va devenir un petit tableau, un intermédiaire entre la sculpture et la peinture, et si on se cantonne dans de minces épaisseurs, c'est que la machine n'est ni assez parfaite, ni assez puissante pour réduire de fortes saillies.

Le groupe qui subissait l'ascendant de Roty délaissa la technique de la gravure sur acier, au rebours des médailleurs du commencement du XIX è siècle, qui, trop acharnés aux prouesses du graveur, finissaient par oublier l'expression artistique.
Incontestablement, il a toujours été nécessaire que l'artiste possédât son métier. Il faut aussi, de nos jours, qu'il soit le maître de la machine. Elle est à sa disposition, peut le servir bien ou mal suivant qu'il en connaît ou en ignore les possibilités.
Existe t-il une différence trop grande entre la dimension de la maquette et celle de la réduction ? Il en résulte un rapetissement exagéré des détails, qui s'amenuisent et ne sont plus à l'échelle de l’œil et de la main. Ou encore, la machine est-elle mal conduite, la touche qui parcourt le grand modèle et la fraise qui grave le poinçon n'ont-elles pas exactement le même angle et les mêmes proportions? Il s'ensuit un amaigrissement ou un empâtement des formes.

Il reste, en définitive, que le tour à réduction a ouvert une ère nouvelle de la médaille, mais que la gravure au burin doit conserver toujours une place prépondérante, dans les techniques d~ la médaille moderne.
Notre génération qui a vu le début, et considère maintenant l'épanouissement de la nouvelle technique née avec le machinisme, a connu dans sa jeunesse les vielles traditions du métier .
Ces deux techniques ont vécu un moment côte à côte, puis peu à peu, la nouvelle s'est substituée presque complètement à l'ancienne.
C'est ainsi que dans l'atelier de mon père, J.-B. Émile Dropsy, on procédait encore, pour certains travaux, comme avaient procédé les graveurs du XvlII è siècle.

Une étude très poussée était gravée en creux. De cette étude trempée un poinçon était relevé. On obtenait ainsi le sujet en relief en acier. Ce relief retouché, ciselé et trempé, était enfoncé dans un bloc. Le sujet se présentait de nouveau en creux en acier. On limait le fond à la profondeur désirée, l'inscription était exécutée à l'aide de poinçons de lettres frappés, c'est-à-dire enfoncés, les uns à côté des autres. Le creux ainsi terminé et trempé constituait le coin.

Jusque vers 1870, où les balanciers deviennent assez puissants pour permettre l'enfonçage des médailles entières y compris le fond et les lettres, on continue, même s'il s'agit d'un poinçon réduit, à n'enfoncer que le sujet, puis le fond est limé et les lettres sont frappées.

Tout ce travail long et minutieux exige de l'ouvrier des qualités d'adresse, de dessin et une infaillible sûreté de vue. La plupart du temps l’œil à la loupe, l'échoppe nerveusement serrée dans la main droite, les graveurs ont besoin de toute leur attention et une lumière abondante doit se répandre sur leur ouvrage: aussi bien, pour en faire la remarque en passant, nichent-ils aux étages supérieurs des immeubles.
Ils recherchent de préférence, dans le quartier du Marais, ces belles maisons du grand siècle, encore nombreuses entre la rue Beaubourg et le boulevard Beaumarchais. La bourgeoisie les avait délaissées et à sa place besognent d'industrieux artisans.
Tout contre la fenêtre s'appuie l'établi de forme très découpée, où chaque ouvrier, dans une alvéole, a devant lui un boulet de fonte qui fixe l'acier à graver parmi un encombre- ment d'outils de toutes sortes, échoppes, ciselets, poinçons, pierre à huile, porte-loupe. Le soir, une lampe placée au milieu, s'entoure de globes remplis d'eau qui en concentrent la clarté.

Dans l'atelier de J.-B. Émile Dropsy, au fond, face aux fenêtres, ronronnait le tour à réduire. La force électrique n'était pas encore distribuée dans les immeubles; un homme de peine, toute la journée, appuyant sur la pédale, mettait en mouvement engrenages et courroies.
La réduction achevée, il fallait l'enfoncer, afin d'obtenir le coin qui constitue l'outillage de frappe. C'est chez Villemin, rue des Coutures-Saint-Gervais, dans le Marais, que les graveurs allaient effectuer ce travail. Il forgeait les blocs d'acier, les trempait, les recuisait et louait les puissants balanciers dont ses clients avaient besoin pour le relevage et l'enfonçage.
Ils trouvaient d'autres collaborateurs, à commencer par le réducteur Janvier de la rue Montmorency, qui, un des premiers, adapta la fraise au tour à réduire, et Combet de la rue du Temple, habile tourneur exécutant les travaux délicats, notamment les filets qui bordent parfois les médailles. Cet intarissable bavard, avec sa barbe blanche et son interminable blouse noire, était le type de ces artisans consciencieux qui adoraient leur métier, toujours à l'affût des trucs qu'ils pouvaient ignorer.
M'excusera-t-on de regretter que ce goût du travail soigné se soit de nos jours raréfié ?
La faute en est peut-être à la machine qui assume l'effort; il y a lieu de ne pas trop oublier que l'homme ne se réalise pleinement que dans ce qu'il conquiert à ce prix.
Faisons tout, pour que cette volonté de perfection se répande chez les jeunes gens.
A l'École des Beaux-Arts, où se prépare la génération de demain, nous nous efforçons personnellement d'inculquer aux jeunes médailleurs, avec la volonté de s'approcher à chaque production autant qu'il est en eux de la conception idéale qu'ils en ont eue, celle d'y employer toutes les ressources de leur métier et de leur talent.

Ils doivent être suffisamment instruits pour aborder les incessants problèmes qu'ils auront à résoudre, et qui varient à l'infini. Pour y réussir, il faut une connaissance approfondie des principes qui dirigent l'exécution des médailles. D'abord, il est indispensable d'envisager la composition et l'expression, qualités essentielles, nécessaires à l'intelligence de l’œuvre, et à l'émotion qu'elle doit susciter chez l'amateur qui la contemple. Et surtout, que notre jeunesse ne se méprenne ni sur les difficultés, ni sur la noblesse spécifique de l'art où elle s'exerce.

Un de nos anciens Secrétaires perpétuels, Quatremère de Quincy, les a mises en pleine lumière ici même le 6 octobre 1821, en lisant la notice consacrée par lui à Benjamin Duvivier :
« L'art de la composition des médailles consiste à réduire aux moindres termes chaque sujet, chaque action, chaque image, de manière à faire voir, non la partie insignifiante d'un tout, mais le tout clairement signifié par ce qui n'en est que la partie. L'erreur de certaines écoles modernes en ce genre, a été de croire que le type d'une médaille devait ressembler à une peinture réduite en miniature... Pour grand que soit le champ d'une médaille, c'est toujours un des plus petits espaces qu'une composition puisse occuper; et, par opposition, ce sont presque toujours les sujets les plus étendus et les plus nombreux qu'il faut y tracer. De là pour l'artiste l'obligation de saisir, dans chaque sujet, le motif ou le sentiment qui en est le point central ou capital. De là ce système d'abréviation savante qui ramène chaque composition à la plus simple expression, pour le sens moral et physique; mais de là aussi l'obligation de donner aux personnages, aux figures, la valeur de cette langue idéale dont ils deviennent les signes; et cette valeur consiste dans la noblesse des formes, dans la grandeur du style, dans l'énergie du caractère. »
On ne saurait mieux dire, et le médailleur, vraiment rompu à son métier, qui réglerait sa pensée et sa main sur cette conception admirable de son art, accroîtrait grandement ses chances de bien faire.

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